Ceci est le quatrième épisode de la série consacrée à l’aventure de Catherine Turgy sur la Pacific Crest Trail. Si vous n’avez pas lu l’épisode précédent, vous pouvez le faire en vous rendant ici. Bonne lecture!
Section 4 de 5 : Oregon
Longueur: 734 km
Itinéraire: Frontière de l’Oregon à Cascade Locks
Durée: 23 jours
Point le plus haut: Approche de Tipsoo Peak (2308 m)
Jours de repos: 2
Un vent de renouveau souffle et sèche ma sueur alors que le mont Shasta est derrière moi et devient de plus en plus petit à l’horizon, remplacé par les reliefs plus doux de l’Oregon. Le sentier traverse ici de longues sections de forêt, les points de vue et les crêtes exposées se font plus rares. Le sentier est doux et roulant, apaisant pour les pieds. Les papillons et pollinisateurs y sont omniprésents, comme de petits confettis colorés virevoltant autour de moi, et que dire de l’odeur florale et boisée qui réjouit mes narines, je m’y sens en vacances ! Je retrouve même un ami du Québec, venu jusqu’ici en van pour vivre avec moi un moment unique à l’endroit le plus grandiose de cette étape : Crater Lake. Du haut d’un belvédère dominant l’immense cratère rempli d’une eau limpide et calme comme une nappe d’huile ce matin-là, on s’offre un lever de soleil tout simplement glorieux. Nos chemins se séparent alors que le jour s’installe puis je poursuis ma petite trotte sur la Rim Trail qui borde ce lac d’une profondeur vertigineuse.
La générosité des gens de l’Oregon
Je m’y sens chaleureusement accueillie, recevant de la « trail magic » dès les premières routes croisées par le sentier. Des locaux, rêvant de la PCT, l’ayant déjà fait ou par pure générosité curieuse, s’installent souvent avec leur camion au croisement des chemins, chaises de camping déployées et buffet de délices frais attendant les randonneurs affamés. Fruits, boissons gazeuses, bières, chocolat, hamburger et encouragements. On ne sait jamais quand la magie nous tombe dessus, elle se manifeste au hasard du chemin et recharge à coup sûr nos batteries du bonheur à 100%. Les anges sur notre chemin n’hésitent pas à nous tendre la main, que ce soit en nous transportant entre le sentier et les villes dès qu’ils nous voient le pouce en l’air et même en accueillant les randonneurs sous leur toit, nous offrant un lit douillet, une douche chaude et des échanges inspirants autour d’un bon repas. À trois reprises durant mon périple, dès mon arrivée en ville, alors que je terminais d’engloutir un copieux déjeuner du champion, je trouvais la facture déjà payée par un client du restaurant, probablement ému et impressionné par la vitesse et la gratitude avec laquelle je savourais mes crêpes. À chaque fois, ce geste inattendu me déclenche des larmes de joie. Ce soutien spontané et cette pure bonté reçue le long du chemin me redonne foi en l’humanité et gonflent mon cœur d’espoir, propulsant mes jambes vers l’avant et m’inspirant à redonner au suivant.
Un don de sang non-consenti
Le territoire est parsemé de lacs où il fait bon se tremper mais étrangement les ruisseaux sont rares et les points d’eau sont plutôt stagnants. Coup de chance cette année, les populations de moustiques sont exceptionnellement abondantes, précisément dans la période où j’y suis. Déjà que ces petits vampires ailés ont une forte réputation dans la région ; ça promet ! Originaire du Québec, je m’étais lancée comme défi un peu fou de traverser cette section sans l’utilisation d’insecticide, naturel ou pas. Armée de mon petit filet de tête, je me sens comme un buffet à ciel ouvert, à la merci des hordes volantes dont le constant acouphène me murmure à l’oreille à quel point mon idée était stupide. C’est donc en marchant d’un pas pressé, enfilant même mon coupe vent en guise de bouclier et suant ma vie en pleine canicule que je me transporte de campement en campement, montant ma tente aussi vite que possible pour m’y réfugier. Une fois à l’abri, j’éprouve un sadique plaisir à tuer les 75 moustiques qui m’ont suivie à l’intérieur puis je m’allonge, satisfaite mais épuisée, me demandant quelle quantité de sang j’ai pu perdre en chemin.
Des pas de géants
À des milliers de kilomètres d’ici, mes parents suivent ma progression avec attention. Depuis le jour 1 à chaque soir je leur envoie ma position GPS depuis ma balise satellite. Ils placent alors avec précision une petite flèche sur l’endroit où je suis rendue. Ils me confieront à mon retour qu’ils avaient perdu espoir que je complète la PCT, faisant le calcul et voyant bien que ma moyenne quotidienne jusqu’ici ne me permettrait pas d’arriver au bout avant l’hiver. Ils ne se doutaient pas qu’une fois mes jambes entraînées avec bienveillance dans le désert puis musclées par les hautes montagnes de la Californie, finiraient par accélérer le rythme à ce point ! Ma distance quotidienne parcourue continue d’augmenter et de m’étonner; Boum ! 42km, Boum ! 45km BOUM ! 55km ! Le dénivelé moins important de l’Oregon me permet de faire de grands bons vers l’avant, rassurant et surprenant autant mes proches que moi-même. C’est fou de constater à quel point le corps s’adapte !
Arrivée au pont des Dieux
La fin de cette section arrive très vite… trop vite même. Grisée par le perpétuel dépassement de mes limites et poussée vers l’avant par la crainte de me faire rattraper par les feux de forêt. Je me trouve coincée entre l’état de Washington devant moi et les incendies qui font déjà rage derrière moi en Californie du Nord et au sud de l’Oregon. Puis je frappe un mur… J’approche du fameux Bridge of the Gods qui enjambe la Columbia river et marque l’entrée dans le troisième état et dernière section que la PCT traverse. Et je n’ai pas du tout envie que cette aventure se termine.
Mon corps me crie sa douleur de plus en plus fort le matin en sortant de mon cocon et en me mettant en marche. Ma tête calcule les kilomètres restants et mon cœur, pris de panique, commence à comprendre qu’on est près du but et se fissure à l’idée de quitter trop tôt ce monde merveilleux.
Eagle Creek et Tunnel falls
Le petit lutin de l’instinct sur mon épaule droite me souffle à l’oreille : dépêche-toi Stitch, les feux de forêt peuvent encore te barrer le chemin vers le nord ! Et le petit diable sur mon épaule gauche entretient insidieusement cette peur de finir seule derrière mes amis si je ralentissais la cadence.
Je dois trancher puis prends finalement le pari de ralentir. Me voilà donc, trottant à un rythme contemplatif et franchissant le Pont des Dieux, déchirée de laisser mes amis partir en avant mais apaisée de m’être écoutée. On verra si j’ai bien fait de donner raison au petit lutin de l’instinct…
Catherine Turgy
Marcheuse de longue distance, Catherine est capable d’user 3 paires de souliers en un seul été et de manger pour 3 lorsqu’elle vit sur les sentiers. De par sa profession en conception de produits, elle cherche toujours à simplifier et améliorer son équipement et est toujours partante pour partager ses astuces et connaissances. Elle a un radar pour les petits détails que la nature met sur son passage et n’hésite pas à s’arrêter pour observer chaque petit insecte qui croise son chemin. Ses pieds ont foulé les 46 sommets des Adirondacks et parcouru de nombreux chemins dans les Appalaches, à la marche comme à la course, mais c’est le Sentier National au Québec qui occupe la plus grande place dans son cœur de randonneuse.