La Pacific Crest Trail. Ce long sentier mythique de 4270 km traversant la Californie, l’Oregon puis l’État de Washington a été complété et inauguré en 1968 et a explosé en popularité depuis 2015. Et pourtant, on compte davantage de gens qui ont atteint le sommet du mont Everest que de marcheurs qui ont touché les deux monuments situés aux frontières du Mexique et du Canada dans une même randonnée en continue.
Pour mieux digérer cette longue aventure et vous partager ce qu’elle y a vécu durant 5 longs mois de marche, Catherine Turgy (qui avait déjà accompli une longue marche sur le Sentier national au Québec en 2020) vous invite à travers 5 articles à découvrir son parcours, les obstacles qu’elle y a rencontrés et les moments forts de ce périple sur la PCT.
Section 1 de 5 : Le Désert (Californie du sud)
Longueur: 1127 km
Itinéraire: Campo à Kennedy Meadows South
Durée: 52 jours
Point le plus haut: Mont Baden Powell (2867 m)
Jours de repos: 5
21 mars 2022, premier jour du printemps. C’est avec les jambes tremblotantes, le cœur fébrile et mon petit morceau de papier en main, ce précieux permis obtenu en novembre dernier sur le portail en ligne de la PCTA, que je touche avec émotion le monument sud, situé sur la frontière du Mexique. Nous sommes 4600 marcheurs à entamer cette folle aventure cette année ; 50 personnes par jour se sont enregistrées pour prendre le départ ici entre le 1er mars et le 31 mai. Un frisson me parcourt l’échine quand je pense que moins du cinquième des ces aspirants « thru-hikers » parviendront à marcher jusqu’au Canada. Je tourne le dos une dernière fois à l’imposant mur d’acier séparant les pays et fait maintenant face à ma maison pour les prochains mois: un long ruban de terre battue où mes pieds me mèneront, un pas à la fois, aussi loin que possible. Il est impensable pour l’instant de m’imaginer au terminus nord, c’est trop loin à visualiser pour notre échelle humaine. Ici, je dois envisager un bout de chemin à la fois pour que le mental accepte de me porter.
La première section, surnommée le “Désert”, sillonne la Californie du Sud et traverse bon nombre de petites villes facilement accessibles depuis le sentier. La proximité de ces points de ravitaillement facilite la période d’adaptation et permet de prendre des pauses plus rapprochées au besoin. Les portages de nourritures en sont également allégés puisqu’il est possible de se réapprovisionner tous les 2 à 4 jours.
Même si la moyenne minimale de kilométrage est de 30 km par jour afin de pouvoir compléter le sentier d’un bout à l’autre entre les hivers, je ménage mes jambes et maintiens un rythme conservateur de 16 à 20 km par jour pour le premier mois, laissant le temps à mon corps de s’habituer graduellement à ce mode de vie. La pression sociale entre les randonneurs est toutefois très forte, les liens se tissent rapidement et des petits groupes bien soudés surnommés “tramily” (“famille de sentier”) se forment autour de moi. Afin de rester avec leurs amis rencontrés en chemin, bon nombre d’entre eux repoussent leurs propres limites, se blessent et se voient forcés de quitter l’aventure prématurément. La plus grande leçon que je retiens reste une phrase bien connue dans le monde de la longue randonnée et qui mérite d’ être longuement méditée: “Hike your own hike” (marche ton propre chemin).
Les plus grands dangers
Outre les risques de blessure de fatigue, les plus grands obstacles guettant les randonneurs de cette section sont la déshydratation et les coups de chaleur. Le soleil plombant et la rareté des points d’eau sont en effet beaucoup plus menaçant que n’importe quel insecte ou reptile du coin. Je m’y étais bien préparée, armée de mes vêtements longs, de mon réservoir souple et de mes bouteilles “Smartwater” me permettant de filtrer et de transporter jusqu’à 6 litres d’eau. Ma date de départ me garantit également une température supportable durant la journée et m’évite d’avoir à marcher durant la nuit, ce que j’aurais été forcée de faire si j’avais pris le départ en avril ou en mai. Une fois le soleil disparu à l’horizon, la température dégringole toutefois de façon surprenante! Je prenais la précaution de dormir avec mes batteries et mon filtre à eau presque chaque nuit, alors que le mercure s’approchait de zéro. J’ai également dû remplacer mon sac de couchage (-7°) pour un duvet plus chaud (-12°) afin d’affronter le froid nocturne du désert.
Une nature étonnante
Quand on pense au mot désert, on s’imagine tout de suite une étendue de sable à perte de vue, dénudée de toute vie. C’est au contraire une nature grouillante et un écosystème étonnamment varié qui m’accueille! La végétation est bien présente et je découvre chaque jour une plante différente en pleine floraison; pavot de la Californie, yucca et bon nombre de fleurs de cactus. Lapins, lézards et serpents habitent également les abondants buissons bordant le sentier et me caressant les jambes au passage. J’ai même le privilège de croiser la route d’un imposant « Red Diamond rattlesnake » dès le premier jour, doux rappel qu’il est plus prudent de marcher sans écouteurs dans les oreilles afin de rester à l’affût des sons de la nature. L’avertissement caractéristique de la cascabelle du serpent à sonnette lui évite de se faire piétiner et nous permet de les localiser et de les observer en toute sécurité en gardant bien sûr une bonne distance.
Mes pires obstacles
J’étais toutefois moins prête à faire face à mon pire ennemi: un vent déchaîné et incessant… Lorsqu’il se lève, il peut durer plusieurs jours. Il est sans pitié; me bousculant et me poussant hors du sentier à quelques reprises et soufflant un sable abrasif sur ma peau déjà asséchée par le climat. Je n’entends rien, on a peine à s’échanger quelques mots lorsque je croise un autre marcheur, tentant d’élever nos voix au-dessus du grondement infernal s’engouffrant dans nos oreilles, les mots s’envolant aussitôt au loin dans la tempête et nous laissant sourds et agressés. Le visage couvert de mon cache-cou et de mes lunettes de soleil en guise de pare-brise, je me déniche tant bien que mal un endroit pour camper, au creux d’un massif de Joshua tree qui m’abritera légèrement mais qui menacera aussi mon matelas gonflable de s’y piquer si les bourrasques arrivaient à le projeter dessus. Ces nuits-là je me contente de dormir à la belle étoile et ne m’aventure même pas à monter ma tente. C’est une bataille perdue d’avance et je risque de voir ma précieuse maison de toile ultra-légère s’envoler vers les cieux tel un cerf-volant.
Un deuxième obstacle est venu à quelques reprises me barrer le chemin et me donner des sueurs froides dans cette section de la Californie du sud: nos amis les bovins. Ma relation avec les vaches ne sera plus jamais la même. Le sentier traverse de vastes pâturages et même si la cohabitation entre les marcheurs de la PCT et les troupeaux est généralement paisible, certains mâles sont de dévoués protecteurs et deviennent plutôt susceptibles lorsque les humains tout de fluo vêtus s’approchent trop à leur goût de leurs femelles. Il faut donc garder une attitude décontractée, éviter les mouvements brusques et ne pas les contrarier en passant simplement notre chemin et en allant camper plus loin. Malgré nos précautions, l’un deux est sorti de nulle part en soirée et a entreprit de menacer notre campement toute une nuit, tentant de franchir les minces barricades de branches que nous avions désespérément bricolées autour de notre clairière après qu’il se soit approché une première fois, hochant sa tête et feintant de charger un des campeurs alors qu’il montait tranquillement sa tente. Inutile de vous dire que le sommeil fut mince, craignant de se faire piétiner par la bête à tout moment dans la nuit. Au petit matin, on émerge de nos tentes sains et saufs avec les yeux fatigués, tandis que le bœuf tourmenté lui, nous barrait toujours le sentier. Nous avons dû le contourner par les buissons en reprenant notre périple vers le nord.
Le troisième et dernier obstacle de cette section m’attend au détour et me prend par surprise. Alors que je suis entourée de groupes et de couples de randonneurs, une vague de mélancolie me gagne sournoisement. Je me sens seule, si seule. Je dois me rappeler à chaque instant les raisons qui m’ont poussée à être ici, me ramener à mon « pourquoi ». Une aventure en solo, à mon rythme. Cette solitude est bien mieux vécue, plus douce et même bienvenue lorsque je me retrouve seule face à la nature. Cet étrange sentiment de vide est rapidement dissipé dès que je me mets en marche, le bruit routinier de mes pas roulant la poussière de roche, rythmant ma journée dans ce fabuleux paysage, comme si j’évoluais dans un monde imaginaire; trop beau pour être vrai.
Peu après la marque des 700 miles (1127 km), c’est sous les applaudissements de mes comparses randonneurs regroupés sur une terrasse, bière à la main, qu’est marquée mon arrivée au magasin général de la petite communauté de Kennedy Meadows South. Le relief du terrain des derniers miles se faisait de plus en plus dramatique, les cactus font enfin place aux grands pins et aux rivières alors que nous nous tenons, humbles, au seuil de la section plus grandiose mais aussi la plus redoutée: la chaîne de montagnes de la Sierra Nevada.
Pour lire la suite de ce périple, rendez-vous sur l’épisode 2 ; la Sierra Nevada!
Catherine Turgy
Marcheuse de longue distance, Catherine est capable d’user 3 paires de souliers en un seul été et de manger pour 3 lorsqu’elle vit sur les sentiers. De par sa profession en conception de produits, elle cherche toujours à simplifier et améliorer son équipement et est toujours partante pour partager ses astuces et connaissances. Elle a un radar pour les petits détails que la nature met sur son passage et n’hésite pas à s’arrêter pour observer chaque petit insecte qui croise son chemin. Ses pieds ont foulé les 46 sommets des Adirondacks et parcouru de nombreux chemins dans les Appalaches, à la marche comme à la course, mais c’est le Sentier National au Québec qui occupe la plus grande place dans son cœur de randonneuse.
5 commentaires
Je trouve fascinant l’idée qu’une personne fille/garçon décide de partir seul pour un tel périple
Vraiment fascinant!
Fière de voir une telle jeunesse se lancer de si grand défi. Je suis très impressionnée.
Si j’avais été plus jeune, vous m’auriez certainement influencée. 😍
C’est avec grand plaisir que je vais lire chacune de tes publications Catherine.
La PCT mon rêve absolu… C’est un plaisir de pouvoir lire ses mots! Hâte de lire la suite! Je vous ai suivi via insta (grâce à Wildsteps.girl 😉 ) et vos récits (insta, podcast, blog) sont une vraie source d’inspiration et d’information.
Félicitations. Très belle écriture… J’ai bien hâte de lire la suite… Et bien chanceuse… Les deux fois où j’ai essayé d’obtenir le permis, les places s’envolaient en quelques secondes. Je me réessaie l’an prochain…
Que c’est beau de vous lire. Votre écriture fait rêver. Et puis, j’ai le goût de cette aventure. Merci de la partager.