Ceci est le deuxième épisode de la série consacrée à l’aventure de Catherine Turgy sur la Pacific Crest Trail. Si vous n’avez pas lu l’épisode précédent, vous pouvez le faire en vous rendant ici. Bonne lecture!
Section 2 de 5 : La Sierra Nevada
Longueur: 631 km
Itinéraire: Kennedy Meadows South à South Lake Tahoe
Durée: 31 jours
Point le plus haut: Forester Pass (4009 m)
Jours de repos: 4
Me voilà aux portes des plus hauts sommets de la PCT, un 13 mai ensoleillé. Les années où les précipitations de neige sont normales, il est risqué de s’y aventurer avant la mi-juin à cause des risques de tempête et d’avalanches. 2022 nous réserve une belle mais inquiétante surprise ; on ne présage pas d’intempérie majeure à venir et il y a eu si peu d’accumulation dans l’hiver que nous pouvons y entrer sans trop de craintes. C’est du jamais vu aussi tôt dans l’année…
Je dois tout de même modifier mon équipement puisque les montagnes sont encore recouvertes d’une bonne couche de neige et de glace et qu’il est obligatoire de ranger sa nourriture dans un baril à l’épreuve des ours, que j’ai loué pour cette section. De plus, les prochains points de ravitaillement sont relativement espacés et nécessitent presqu’une journée de marche complète pour les atteindre en franchissant la chaîne de montagne nous séparant de la civilisation. Me voilà donc alourdie par mes crampons, mon piolet, des vêtements plus chauds et 7 jours de nourriture entassés dans mon baril.
Une entraide essentielle
Presque la totalité des randonneurs arrivés jusqu’ici ont hérité de leur « trail name », un surnom qui nous est donné suite à une anecdote marquante ou en lien avec notre personnalité et nos passions. Je suis connue sous le nom de « Stitch » depuis déjà quelque semaines, ainsi baptisée après qu’un trail angel m’ait offert en cadeau une balle de laine et des aiguilles afin que je tricote en chemin des tuques pour garder mes amis au chaud. Nous nous sommes regroupés en petites équipes avant de prendre le départ à Kennedy Meadows pour assurer notre sécurité en naviguant dans cette section qui présente d’importants risques liés au terrain, à l’éloignement et à l’altitude. C’est donc une Stitch confiante, accompagnée de ses coéquipiers Kiki, Runaway, Meth Trout et Big Bear qui entament tranquillement leur montée vers ce territoire isolé et majestueux.
Sur le toit de la Californie
L’acclimatation aux effets de la haute montagne se fait relativement en douceur si on prend le temps de camper à des endroits stratégiques en chemin. J’ai réussi, après deux nuits de bon sommeil à plus de 3000 mètres, à dissiper mes maux de têtes par une bonne hydratation. Le décor est simplement surréel, une barrière de pic rocheux se dressent au loin devant nous, à perte de vue. Je me trouve maintenant sur la légendaire John Muir Trail, que la PCT emprunte sur presque toute sa longueur. Une vague de gratitude me submerge alors que mes pieds foulent le sol de ce sentier riche en histoire et parfaitement préservé dont la construction aura prit 46 ans, depuis la formation du Sierra Club en 1892 jusqu’à son inauguration en 1938.
Au cœur des sommets acérés de cette contrée sauvage trône le mont Whitney. Sommet le plus haut des États-Unis contigus avec ses 4421 mètres, il se trouve juste à l’est de la PCT, son sommet se trouvant à 13 km de celle-ci en suivant un sentier alternatif. La majorité des thruhikers qui arrivent à ce croisement choisissent de le gravir – tant qu’à passer dans le coin ! Choix que je ne regretterai pas une seconde, pas même en sortant de ma tente au beau milieu de la nuit avec mon groupe pour marcher à la frontale durant 4 heures. La montée est douce, parcourant une longue séquence de lacets qui semblent se succéder pendant une éternité dans la noirceur. Les effets peuvent commencer à se faire sentir dès 2500 m d’altitude et le souffle se fait court pour la plupart des marcheurs une fois en haut de 3500 m. On doit ralentir et rester à l’affût de nos états de santé. Certains souffrent d’étourdissements, de maux de tête et de nausées ; c’est le mal aigu des montagnes. Ceux qui ressentent ces symptôme vont malheureusement rebrousser chemin et redescendre au campement se reposer, le risque d’oedème cérébral et pulmonaire est bien réel et ne devrait jamais être défié.
L’arrivée au sommet et le spectacle qui s’en suivra restera un des moments forts de ma longue aventure. Une vingtaine de randonneurs semblent méditer en attendant le jour, emmitouflés dans leur sacs de couchage et agglutinés sur les rochers. Aucun vent ne souffle et il fait un confortable zéro ; nous sommes bénis ! Seul le sifflement d’un petit brûleur préparant le café de la victoire se fait entendre, résonnant faiblement dans l’immensité qui nous enveloppe. On flotte au dessus de tout, microscopiques humains multicolores assis humblement sur la tête d’un titan rocheux dominant son vaste territoire. Puis ça y est, le soleil perce l’horizon, colorant d’orange et d’or les cimes de roc et baignant les vallées enneigées, les faisant passer du gris au bleu. Ses rayons nous touchent bientôt le bout du nez puis nous baignent le visage, alors que le café nous réchauffe l’âme. Une larme roule le long de ma joue. Je suis sans mot.
La course contre la fonte des neiges
La descente se fait dans une douce euphorie, à la fois étourdie par le manque de sommeil et saoulée par l’altitude. Demain déjà nous attend la traversée d’un premier col majeur qui constitue également le plus haut point de la PCT à 4009 m: Forester Pass. S’en suivra une série de cols et de traverses qui rythmeront nos journées, une routine très matinale et éreintante. Nous devons nous mettre en marche vers 4h00 et gravir les hauts passages aussitôt que possible le matin alors que la surface est encore bien gelée sous nos crampons. Dès 8h00, le soleil commence déjà à cuire la neige et on commence à s’enfoncer. À partir de 10h00, la journée peut vite se transformer en cauchemar si on a pas regagné la terre battue dans la vallée suivante; nos jambes s’enfonçant parfois jusqu’aux hanches à chaque 2 ou 3 pas dans l’épaisse croûte affaiblie.
Et toute cette neige doit bien s’écouler quelque part avant de disparaître du paysage! Plus la saison avance, plus sa fonte s’accélère, gonflant les rivières et transformant ce qui devait être de petits ruisseaux asséchés en torrents déchaînés. La PCT croise bon nombre de ces cours d’eau que nous devons traverser à gué la plupart du temps, non sans une bonne analyse de risque. Alors que je tentais une traversée qui semblait facile, je paye le prix d’un de mes bâtons de marche, échappé puis emporté dans les chutes après que j’aie trébuché dans ce qui avait les apparences d’un simple ruisseau. Je redoublerai de méfiance pour franchir les suivants, la force et l’imprévisibilité du courant ne pardonnant pas.
Les pieds mouillés, les yeux brillants remplis de souvenirs épiques, le corps amaigri par l’effort, le stress, la faim et le froid constant, j’émerge finalement du dernier col enneigé puis atteint la ville de South Lake Tahoe comme un oasis de luxe où je reprendrai le sommeil et les calories perdus durant une journée de repos bien méritée.
Catherine Turgy
Marcheuse de longue distance, Catherine est capable d’user 3 paires de souliers en un seul été et de manger pour 3 lorsqu’elle vit sur les sentiers. De par sa profession en conception de produits, elle cherche toujours à simplifier et améliorer son équipement et est toujours partante pour partager ses astuces et connaissances. Elle a un radar pour les petits détails que la nature met sur son passage et n’hésite pas à s’arrêter pour observer chaque petit insecte qui croise son chemin. Ses pieds ont foulé les 46 sommets des Adirondacks et parcouru de nombreux chemins dans les Appalaches, à la marche comme à la course, mais c’est le Sentier National au Québec qui occupe la plus grande place dans son cœur de randonneuse.
4 commentaires
Au risque de me répéter, très beau texte et superbes photos, Stitch . 🙂
Oui, textes magnifiques et périple passionnant.
Merci
Toujours un plaisir de te revoir.
Merci de partager avec nous ta traversée. Il faut beaucoup de courage et de détermination.