Ceci est le troisième épisode de la série consacrée à l’aventure de Catherine Turgy sur la Pacific Crest Trail. Si vous n’avez pas lu l’épisode précédent, vous pouvez le faire en vous rendant ici. Bonne lecture!
Section 3 de 5 : Californie du Nord
Longueur: 965 km
Itinéraire: South Lake Tahoe à la frontière de l’Oregon
Durée: 30 jours
Point le plus haut: Dicks Lake pass (2856 m)
Jours de repos: 2
J’entends parler du « blues » de la Californie du nord, que plusieurs « thruhikers » vivent en parcourant cette longue étape. J’y ai plutôt trouvé un grand calme et un soulagement d’être sortie des hautes montagnes et de laisser derrière moi les risques de la neige et de l’altitude. Un air printanier et la promesse d’un bel été y flottent, les abondantes floraisons jaunes éclatantes d’oreilles de mulet et la verdure luxuriante des plants de tabac du diable colorant mon chemin.
Les petites villes de montagne sont plus fréquentes et je peux enfin me départir du baril et de mon attirail d’hiver que je renverrai à la maison au petit bureau de poste de Sierra City. Le pas et le cœur légers, la Sierra Nevada derrière les mollets, je passe enfin la ligne séparant la frontière géologique entre deux chaînes de montagne et j’avance maintenant sur le dos des Cascades Mountains. J’ai le sentiment que plus rien ne peut m’arrêter!
Même si on y franchit (déjà!) la mi-parcours, nous ne sommes pas à l’abri des blessures et quelques-uns de mes amis randonneurs avec qui je marchais sont contraints de s’arrêter et de soigner leurs blessures, prenant parfois des pauses obligées d’une semaine ou plus, ralentissant leur progression et me laissant à nouveau seule à évoluer vers le nord. J’y ferai également de nouvelles rencontres, des amitiés si pures et authentiques qui se sont taillées une place bien spéciale dans mon cœur et ce, pour longtemps.
Une machine qui a besoin de carburant
Cette section, quoique que l’altitude atteinte soit moins impressionnante en chiffres que la précédente, est loin d’être douce… des montées parfois longues de 20 km nous attendent lorsqu’on quitte les villages nichés au creux des vallées, le sac à dos plein de vivres et nos grands estomacs de randonneurs bien remplis après une pause ravitaillement. Même si les portages de nourriture sont moins longs et que mes pattes se sont fortifiées, me permettant de parcourir plus de 40 km par jour sans me fatiguer, j’ai toujours faim. Une faim qui est devenue hors de contrôle depuis quelques semaines déjà. Je dois manger une collation au moins toutes les heures en plus d’engloutir mes trois repas par jour pour espérer une satiété qui ne vient plus. Les sujets de conversations entre randonneurs tournent souvent autour de la nourriture, rêvant de buffets gargantuesques tels les enfants perdus dans Peter Pan. J’arrive facilement à boire deux canettes de boissons gazeuses en moins de 10 minutes lorsqu’on croise de bons samaritains nous ouvrant leur glacière bien garnie et j’accepte absolument toute la nourriture qui m’est offerte en chemin. Mon appétit de randonneur est bien installé.
Des forêts en cendres
C’est également ici que je traverserai de nombreuses zones ravagées par les incendies de forêts. Pas une journée ne se passe sans que j’explore un bout de territoire qui eut été la proie des flammes il y a un an, 5 ans, 10 ans et même 20 ans, donnant un étrange dégradé de repousses. Tantôt une jeune forêt en pleine adolescence, tantôt des champs de fleurs parsemés de sinistres troncs noirs sans tête, tantôt des zones de désolation complètement stériles et recouvertes d’un épais manteau de cendre. Un étrange mélange d’émotions m’envahit à la vue de ces milliers d’arbres calcinés. Je m’efforce de me répéter que le cycle des feux de forêt est un phénomène naturel, très souvent causé par la foudre, mais la fréquence et l’ampleur qu’ils prennent sur la côte ouest depuis les cinq dernières années me donnent froid dans le dos. Chaque jour de repos que je prends me sème une petite crainte de prendre du retard… un retard qui me placerait sur la trajectoire d’un feu de forêt, causant la fermeture du sentier et m’empêchant de poursuivre ma quête vers le Canada. Une force invisible me tire vers l’avant, propulsé par les menaces d’un petit démon assis sur mon épaule qui me chuchote de me dépêcher pour rester au-devant des feux qui démarreront inévitablement, mais que personne ne sait prédire.
Alors que j’ai le sentiment que je n’arriverai jamais au bout de la Californie, c’est finalement au 114e jour de mon aventure que je m’approche ENFIN de la frontière qui me sépare du deuxième état à franchir ; l’Oregon. J’atteins cette simple petite pancarte de bois au milieu de la forêt avec un sentiment grisant… Une certitude naît timidement dans mon esprit : ça y est, ça devient possible, je vais marcher la PCT en entier.
Catherine Turgy
Marcheuse de longue distance, Catherine est capable d’user 3 paires de souliers en un seul été et de manger pour 3 lorsqu’elle vit sur les sentiers. De par sa profession en conception de produits, elle cherche toujours à simplifier et améliorer son équipement et est toujours partante pour partager ses astuces et connaissances. Elle a un radar pour les petits détails que la nature met sur son passage et n’hésite pas à s’arrêter pour observer chaque petit insecte qui croise son chemin. Ses pieds ont foulé les 46 sommets des Adirondacks et parcouru de nombreux chemins dans les Appalaches, à la marche comme à la course, mais c’est le Sentier National au Québec qui occupe la plus grande place dans son cœur de randonneuse.
1 commentaire
Merci Catherine pour ton partage!
C’est trop cool de pouvoir te lire le lendemain de ta conférence au Arcteryx hier; qui donne encore plus le goût de foncer et de s’aventurer sur la PCT ????