Note aux lecteurs : Cet article a été rédigé au début de l’année 2020, avant la pandémie de COVID-19.
En février 2020, nous participions à la 22e édition du Shack à Réal et Éric. Chaque année, plus ou moins 25 jeunes de 4e et 5e secondaire sont choisis sur plus de 40 étudiants pour faire partie d’une expédition de 10 jours de camping d’hiver dans la ZEC de Kiskissink.
« Des dizaines de voyageurs sont coincés à Montréal. Les Mohawks de Kahnawake sont là pour rester. VIA rail suspend toutes ses liaisons. Le CN ferme son réseau ferroviaire dans l’est du Canada… » C’est ce qu’on pouvait lire dans les journaux la veille de notre départ.
Des dizaines de communautés autochtones s’étaient rassemblées à travers le pays pour faire entendre leur voix en manifestant devant les rails qui traversaient leur territoire, créant ainsi un blocus ferroviaire.
Depuis 2010, le projet de pipeline de Coastal Gaslink continue d’être refusé de la part des chefs héréditaires des communautés autochtones visées. Malgré les négociations, la compagnie ne veut pas modifier la trajectoire de la liaison gazière de 670 km liant ainsi la ville de Dawson Creek à l’usine de Kitimat, toutes deux situées en Colombie-Britannique, ne voulant pas dépenser 600 à 800 millions de dollars de plus sur un projet déjà estimé à plus de 6,6 milliards. Le gouvernement canadien a beau reconnaître qu’il doit détenir le consentement de la nation de Wet’suwet’en avant d’imposer leur projet, il ne comprend toujours pas l’impact qu’un pipeline peut avoir en traversant le territoire traditionnel de la communauté. Ou du moins, s’il le comprend, ne fais rien pour aider. Certains documentaires sur le sujet comparent cette injustice à celle de faire rénover sa propre maison sans y avoir autorisé les entrepreneurs. Un peu comme si un étranger venait couper les arbres dans notre cour pour mettre des barrières qui nous empêcheraient de sortir pour aller à l’épicerie. Le véritable débat porte sur la reconnaissance du territoire. Si le pipeline s’était construit sur les terrains de nos chalets, on se serait battus pour nos droits nous aussi. Et on aurait surement respecté notre territoire. Pourquoi dans ce cas-ci, cela serait-il différent?
Bien que nous ne soyons pas les seuls à subir les conséquences de ce dégât politique, nous avions l’habitude d’atteindre notre destination en train. Comme chaque année, nous devions nous rejoindre le 14 février à 7h30 à la gare Ahuntsic. Moins de 15 heures avant notre départ, le jeudi soir, nous apprenions qu’il ne serait pas possible de partir en train. On ne pouvait pas quitter Montréal le vendredi. Et on ne savait pas quand on le pourrait.
Après plusieurs heures d’incertitude et de messages entrants incessants, les 8 accompagnateurs, les 25 jeunes ainsi que leur matériel étaient dans le gymnase de l’école Sophie-Barat. Tous couchés dans leur sac de couchage, sous les néons bruyants, ils rêvaient pour la dernière fois aux épinettes et aux centimètres de neige accumulés avant d’enfin pouvoir s’y jeter. Le lever fut moins difficile que prévu, l’excitation en était clairement la cause. Bien qu’à l’origine, nous devions monter dans un train, le train se transforma en autobus.
Cette journée nous donna l’impression d’en vivre deux en une. L’autobus arriva. Il fallait quitter Montréal. Environ 5 heures plus tard, dans la ZEC de Kiskissink, on put sortir les traîneaux des élèves du camion qui nous avait accompagnés. Le soleil était encore haut dans le ciel et nous avions tous beaucoup d’énergie à dépenser. Tant mieux parce qu’on en aurait besoin. Il faudrait longer la piste de motoneige sur 7 km. Il fallait être attentif, mais dans toute cette prudence se trouvait quelque chose de magnifique. Chaque individu, collé sur la bande de neige, qui observait le traîneau de l’autre devant lui. Une à la fois, les motoneiges qui passaient s’arrêtaient et prenaient nos traîneaux dans les leurs, nous allégeant d’un poids et nous revigorant d’énergie. Un peu comme ce que cette expédition avait pour but de faire, elle aussi.
Arrivés au Shack, il faisait encore jour. Une cabane qui doit perdre bien de sa beauté quand on ne connaît pas son histoire. Et nous, nous la connaissions par cœur. Nous avons pu organiser notre campement à la lumière, ce qui n’était pas habituel. J’observais les petits nouveaux travailler. Creuser, creuser, creuser, puis taper, taper, taper… Monter les murs de neige, comme s’ils faisaient leur château. Comme s’ils se préparaient à la Guerre des Tuques. Il ne restait qu’à tendre la toile qui fermerait leur refuge, leur cachette, leur maison qui les protègerait des intempéries. C’est la première étape pour « revenir à l’essentiel » selon Ève, élève de 5e secondaire, déjà à son deuxième Shack. Se créer son espace. Et en prendre soin.
Le Shack, c’est aussi deux grands noms. C’est Réal Savard et Éric Laforest. Ce sont ceux qui mettent la petite graine dans la tête des jeunes qu’il est possible de vivre de plein air et d’eau fraîche, au quotidien. Ce sont ceux qui font grandir cette génération de fous qui veulent partir au Cégep de la Gaspésie et faire l’AEC en tourisme d’aventure à Saint-Laurent. Ce sont ceux qui nous permettent de rencontrer les précurseurs, les fondateurs, les guides qui maintiennent le cap tout en faisant bouger le domaine du plein air. De leurs mains, ils ont fait le Shack. Et de leur cœur, ils nous font comprendre tout ce que ça vaut.
L’expérience se façonne par la communauté que l’on crée au fil des jours, mais aussi par celle qui nous vient en aide parce qu’ils se voient en nous. Les habitants de la ZEC contribuent à notre voyage par des visites, des accueils chaleureux, des chocolats chauds, des hotdogs et des motoneiges, pleins de motoneiges et du temps.
C’est en parlant avec certains élèves que j’ai compris toute la portée que ces apprentissages pouvaient avoir concrètement. Raphaël, élève de 5e secondaire, dont le deuxième Shack a fait ressortir beaucoup de maturité a réalisé que « L’école restera toujours un aspect très abstrait de l’intellect. Le plein air concrétise les choses et nous permet d’expérimenter l’éducation que l’on a reçue. On comprend alors que le plein air n’est plus une question de survie, mais de résolution de problème. » C’est effectivement un beau résumé de ce que le Shack apporte en seulement 10 jours à des élèves d’à peine 15 et 16 ans : du concret. De la proximité entre des gens qui ne se ressemblent pas tous forcément, mais qui ont un point en commun. L’envie d’être dehors. C’est bien assez pour créer une complicité qui les tiendra les uns aux autres au moins pour le reste de leur année scolaire, et parfois pour le reste de leur secondaire. Parfois, cette complicité se crée avant d’arriver concrètement au Shack. C’est entre autres ce que m’expliquaient Léa et Romi qui en étaient à leur premier Shack cette année: « Depuis que nous sommes rentrées au secondaire, nous voulons aller au Shack sans nécessairement savoir à quoi s’attendre, mais ça nous donnait envie de participer aux autres expés pour se préparer. On a rencontré plein de gens qui voulaient y aller aussi. Puis maintenant, on est ici avec eux » Le Shack apporte de la motivation aux jeunes avant même qu’il soit possible pour eux d’y aller.
Les gens qui s’intéressent à notre voyage nous demandent souvent à quoi ressemble une journée typique au Shack. Et bien, on se fait réveiller autour de 8h pour aller déjeuner dans le Shack. Lorsqu’on rentre, nos mouflons aux pieds, on se fait servir un chocolat chaud et une assiette gracieusement préparée par « l’équipe bouffe » de la journée. Ensuite, Éric nous explique les activités possibles selon la température. S’il a neigé, il faut déblayer la patinoire, on peut commencer un quinzee, monter la tente arctique, bref, chacun décide à quoi il participe. L’équipe vaisselle se met au travail et les autres vont se préparer pour la journée. Certains partent mettre des collets avec un des accompagnateurs, partent faire une marche sur le lac, font du yoga, des photos, d’autres s’écrasent dans un hamac pour jouer du ukulélé. Vers 13h on dîne dehors autour du feu. C’est généralement en après-midi que certaines personnes rentrent pour essayer d’étudier un peu la matière qu’ils manquent à l’école. Et c’est pendant ce temps que le tournoi de ballon-balai commence. Quand la lumière baisse, qu’une équipe a gagnée et une autre perdue, les jeunes rentrent se changer en maillot de bain pour aller faire un tour au ruisseau, question de garder un minimum d’hygiène. Un beau défi qui se termine en combine et en polar autour d’un bon repas chaud. Pendant que l’équipe vaisselle nettoie le Shack, les autres vont jouer dehors sur la glace. Lorsqu’on revient, nous nous retrouvons dans un petit salon aménagé par quatre petits sofas et des matelas sur lesquels on s’étend pour chanter et se faire raconter des histoires. Vers 10h, les élèves vont se coucher et les accompagnateurs font les plans pour le lendemain.
Le Shack donne envie non seulement aux jeunes, mais à tous ceux qui y passent de changer de routine. De ralentir son mode de vie. Parce que lorsque ta vie se résume à jouer, dormir et être dehors, tu te rends compte que la ville comme on la connaît nous conditionne à nous concentrer sur les envies plutôt que les besoins. L’essentiel est ici. C’est en créant cette routine, cette stabilité dans l’inconnu, que les réflexes se créent. Plus besoin de penser à mettre ses bas sur sa bedaine avant d’aller se coucher, ou de prendre son sac de couchage et de le mettre au soleil en se levant, ça se fait naturellement. On se promène en polar à -20, et on se baigne dans un ruisseau dont il faut casser la glace. C’est de cette façon que l’on réalise que l’humain est fait pour s’adapter. Il n’est pas fait pour rester toujours dans le même moule. Pour utiliser sa pleine capacité, il doit être confronté à une nouvelle réalité, pour l’obliger à trouver des solutions. C’est de ça qu’Ève me parlait. « À Montréal, nous n’avons pas besoin d’effort pour accéder à l’essentiel. On ouvre le robinet pour avoir de l’eau, on va au magasin si on a oublié quelque chose ou si on l’a perdu et quand on cherche des solutions, on ouvre internet. La beauté de ces actions provient du sentiment de mériter de boire cette eau, de manger ce qu’il y a dans son assiette, et de bien dormir dans l’abri qu’on a soi-même construit. »
Pour l’avoir moi-même expérimenté, le retour est toujours difficile. Nous discutons sur ce qu’il nous fait ressentir. Ça nous ouvre sur les introspections de chacun et sur les réalisations des autres. Pour bien des jeunes, la réflexion était axée sur la chance qu’ils ont d’avoir pu s’accomplir, de s’être sentis utiles dans un groupe en ayant appris autant sur les autres que sur soi. Mais ces introspections leur faisaient également réaliser que les gens autour d’eux sont constamment en train de critiquer leur génération, trop souvent certains que les adolescents ne font que dormir et texter, alors qu’avec de la confiance et les moyens, ils peuvent créer quelque chose d’aussi magique que le Shack. Ces 25 élèves et tous ceux qui leur ont précédé en sont la preuve.
Lorsqu’on arrive à l’école, nous devons tout accrocher et tout faire sécher. Quelques élèves s’occupent de faire un repas avec les restants de nourriture. Mais lorsque tout ça est fait, et qu’on s’assoit enfin, c’est là qu’on se réveille. Les 10 jours avaient filé en flèche, nous laissant des souvenirs et des frissons. C’est en nous prenant tous dans nos bras que nous avons réalisé que cette expédition était bel et bien terminée. Mais pour une grande majorité d’entre eux, ce n’est que le début d’une magnifique aventure qui pourrait durer toute une vie. Ce n’était qu’un merci, et à l’année prochaine.
Un merci tout particulier à Éric Laforest de m’avoir permis de visiter le Shack sous cet angle, pour la première fois. Un grand merci aux gens du village de Kiskissink qui nous apporte le sourire par leurs visites et leurs attentions.
Alice Roy
Étudiante et passionnée de plein air, Alice a découvert sa passion assez jeune sans réellement savoir toute l’importance qu’elle prendrait dans sa vie. Commençant par des sorties de camping sauvage sur l’île aux Lièvres à l’âge de 6 ans, elle retrouva l’amour du grand air au secondaire dans le club de plein L’Escapade. De multiples sorties de camping d’hiver, de préparations, de nuits en bivouac et de revirements de situations ont permis à un grand rêve de se créer dans sa tête : celui d’un jour atteindre le Grand Nord. Bien que ce rêve ne se soit pas concrétisé encore, chaque pas de plus à connaître ses limites et à en découvrir d’autres au froid la fait avancer vers la réalisation de ce rêve.
Malgré tout, elle croit tout de même dur comme fer que le plein air n’est pas que pour s’évader, mais d’aussi pour créer des liens qui ne se défont pas, même au grand froid!
3 commentaires
wow très bel article!!! Belle initiative de la part du blogue de donner la parole à une jeune journaliste! L’article me donne envie de repousser le printemps encore un peu, je veux retourner dans la neige….
Merci Alice pour ce texte magnifique, je suis en train de chialer de nostalgie. Ça fait juste tellement mal pour les élèves qui ont pas pu y aller cette année, c’est tellement chien!
bonjour, les jeunes sont chanceux de faire cette belle expérience, je suis une adulte j’aimerais faire aussi celle belle aventure, j’adore le plein air, je crois qu’il n’a pas de voyage organisé comme ca a faire….. si il aura je suis partante……