170 km en sol d’aventure
Texte et photos : Claude Côté
Après deux reports de nos réservations en deux ans en raison de la pandémie qui sévissait sur la planète, l’occasion s’est enfin présentée pour que nous puissions mettre à exécution notre grande excursion du Tour du Mont-Blanc, communément appelé le TMB. Au menu, un parcours en boucle de 170 km en neuf jours sur le mythique sentier qui ceinture le massif du Mont-Blanc à travers la France, la Suisse et l’Italie. Point de départ et d’arrivée : Chamonix. Avec ses 10 000 mètres de dénivelé positif annoncé, le programme du tour s’annonce quelque peu costaud, mais sublime.
À Chamonix, la veille du départ de notre expédition, c’est le coup d’envoi de la 19e édition de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. Il s’agit de l’une des plus prestigieuses et difficiles courses en montagne de la planète. En face de notre auberge, près du premier ravitaillement, nous voyons défiler les 2300 ultramarathonien·nes participants. Les 2/3 vont réussir l’exploit en moins de 46 heures et 30 minutes. C’est le temps maximum autorisé, les autres seront disqualifiés. Le vainqueur réussira cette prouesse incroyable en moins de 20 heures. De notre côté, nous réaliserons les 170 kilomètres du tour en neuf jours. C’est un peu gênant, mais je ne suis ultra dans rien et je déteste les combats contre la montre.
Inscrits au grand tour intégral auprès d’une agence de France, mes trois amis du Québec et moi sommes au point de départ au jour et à l’heure convenus où nous attend Sam, le guide accompagnateur, et 11 autres marcheurs provenant de France, de Belgique et de Singapour. Après les présentations d’usage, le signal est donné et nous nous attaquons au parcours d’un pas décidé pour découvrir un massif qui inclut ouf! trois pays, sept vallées, 71 glaciers et 400 sommets!
Une chose me chicote dès le départ. Nous allons effectuer le grand tour dans le sens horaire alors que tous les récits, reportages et topoguides que j’ai consultés présentent la randonnée en sens antihoraire. Pour Sam, notre guide, un sens ou l’autre n’a pas d’importance. Mais pour moi qui voulais suivre notre périple à travers mon topoguide, cela veut dire que je devrai le lire à reculons! Ce changement de cap aura au moins une conséquence heureuse, car nous croiserons sur le sentier les premiers coureurs qui sont en fin de course de l’Ultra-Trail. Ceux-ci ne sont qu’à quelques heures de l’arrivée. Au passage de chacun des athlètes, on se place en retrait de la piste et on les ovationne. J’avoue que la plupart ressemblent un peu à des zombies, pour ne pas dire qu’ils ont l’air carrément claqués. Mais, surprise! Nous croisons une marathonienne, et j’entrevois le drapeau canadien et le prénom « Marianne » sur son matricule. Elle est tout sourire et d’une forme étonnante. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit de la Québécoise Marianne Hogan qui, malgré de graves douleurs à la hanche gauche en fin de course, terminera au deuxième rang chez les femmes. Je conserve en mémoire cette persévérance inébranlable comme source d’inspiration.
Au premier jour de notre randonnée, évoluant sur le versant opposé de la vallée de Chamonix, nous avons droit à des panoramas d’une grande beauté sur les glaciers culminants du massif et en particulier sur « l’Everest des Alpes » : le mont Blanc (4810 m).
Au cours de la première nuit, de la fenêtre de notre auberge, je jette un coup d’œil sur la montagne et je remarque des lampes frontales qui défilent là-haut sur les collines. Sam nous raconte le lendemain que les participant·es de l’Ultra-Trail qui connaissent les conditions les plus difficiles et les plus dangereuses sont ceux et celles qui courent pour une deuxième nuit de suite.
Au matin, à partir du village de Tour, nous entreprenons la longue ascension vers les hautes prairies en altitude que l’on nomme les alpages. Ces champs de pâturage en haute montagne sont couverts d’une herbe rase, tondue par les vaches, les bovins ou les moutons. Là-haut, j’ai l’occasion d’observer la version moderne du légendaire berger avec son troupeau de brebis. Très concentré à jouer sur son cellulaire, il laisse à ses deux chiens le soin de garder le troupeau.
La Suisse impeccable
Tout en haut, au col de Balme, le sentier joue à saute-frontière. Curieusement, pas de poste de douane à l’horizon, même pas une borne, tout juste un petit panneau de direction. À Trient, premier village de Suisse, on dépose nos sacs à dos pour la nuit. Ce qui frappe dans ce pays, c’est la propreté. Tout est si bien rangé, ordonné, soigné, et réglé… comme une vraie montre suisse!
Le lendemain, nous amorçons un véritable jeu de montagnes russes. Sur le plus haut perchoir, à près de 2000 m d’altitude, nous nous faufilons au milieu d’un alpage de bœufs Herens. Cloche au cou, ces gros bovins noirs typiques des montagnes de Suisse nous offrent un véritable carillon champêtre. Droit devant, se dévoile la vallée du Rhône, encaissée entre les montagnes. Les nombreux vignobles accrochés aux pentes escarpées de ces dernières me rappellent qu’à 23 ans, au cours d’un voyage « auto-stop et sac-à-dos », j’avais fait les vendanges ici-même à flanc de vallée, pour un bon cru qui s’appelle « Le Fendant ». Heureux hasard, c’est le vin que propose justement l’auberge où nous dormons ce soir-là.
Le lendemain, nous traversons Champex-Lac et son bassin créé par les anciennes avancées glaciaires. Cette contrée a un air qui m’est familier. À juste titre, on surnomme la région « Le Petit Canada ». Les forêts de conifères et la forme des collines… il y a de quoi s’y méprendre. Mais dès que se profile une construction alpine avec le bon vieux chalet suisse typique, c’est indéniable que nous sommes chez les Helvètes! Quelques panneaux et des publicités nous rappellent que Champex est le pays du St-Bernard. Dommage, on n’en verra pas un seul sinon sur les panneaux. Ces anciens alliés des chanoines qui, jadis, portaient secours aux voyageurs en montagne, ne sont plus en service. Les hélicos ont pris la relève.
De tout notre TMB, c’est la fraction sud de la Suisse qui présente les paysages les moins spectaculaires. Le mont Blanc n’est plus à portée de vue depuis la France et nous devons avouer que le Petit Canada n’a pas de quoi nous enflammer.
La belle Italie
C’est en haut du Grand col Ferret (2537 m) que s’effectue le passage en Italie. La dernière montée en sol suisse s’accomplit au milieu d’un paysage à demi coincé dans le brouillard. Pour contrecarrer les mines blasées, Sam nous promet une grande surprise, tout en haut sur le col. Notre incrédulité sera finalement vaincue à l’instant où nous y poserons les pieds. Wow! La surprise! D’un seul coup d’œil, c’est tout le Val Ferret italien qui s’ouvre devant nous à perte de vue. Au premier plan de cette large vallée, l’imposante Aiguille de Leschaud, si haute que les nuages culbutent sur son sommet. Attenant à cette dernière, la blanche vallée du glacier de Pré de Bar. Que dire du pic du mont Dolent, juste à droite, point de rencontre des frontières de Suisse, de France et d’Italie!
Après une nuit dans la vallée, nous grimpons sur un long balcon avec des vues impressionnantes sur l’autre versant. Un « balcon » est un terme usuel sur le TMB pour décrire une longue terrasse plane en altitude offrant des vues panoramiques. Ces vues ne manquent pas d’intérêt. En un seul coup d’œil, notre regard embrasse quelques-unes des plus belles sections du vaste massif alpin incluant le mont Blanc. Nous filerons ainsi jusqu’à Courmayeur, station alpine réputée à l’architecture soignée. C’est un peu la Chamonix italienne.
Côté bouffe, c’est en Italie que nous expérimenterons le meilleur et le pire : un buffet royal à volonté au refuge du Val Ferret alors que c’est la cure de rationnement à celui de Courmayeur. Ce dernier hérite de la palme du pire petit-déjeuner qu’on pouvait imaginer avec son assiette de charcuteries froides accompagnée d’une poudre de faux café doublée d’un pichet d’eau chaude! En Suisse, nous avions eu droit aux spécialités du pays : fondue au fromage un soir suivie de la typique raclette le lendemain. Et c’est sans compter le fromage qui accompagnait aussi le quotidien de nos lunchs; bref, mon palais a bien apprécié, mais mon cholestérol a sûrement grimpé à des hauteurs alpines!
Retour en France
Après la belle Italie, c’est le retour en France via le col de la Seigne (2516 m), un passage millénaire déjà fréquenté dans l’Antiquité. Comme pour les frontières antérieures, la transition se fait au sommet d’un col de montagne, précédée de grimpes et descentes à répétition. Heureusement pour nos genoux, ce soir-là notre logis n’est pas trop éloigné de la frontière. Au refuge des Mottets (1864 m), ce sera notre seul hébergement isolé en montagne de toute l’expédition. Comme baptême initiatique, nous dormons dans une ancienne bergerie sans chauffage ni électricité. Imaginez 40 dormeurs étalés en rangs d’oignons, y compris, en complément, une funeste chorale d’éminents ronfleurs. Pour nous faire oublier cette étable rustique et pour le moins insolite, nous aurons droit à un succulent repas et par surcroît… à volonté! Comme supplément, la maître-aubergiste, excellente animatrice et virtuose, réussit à faire chanter ses convives de façon déchaînée grâce à ses vieux refrains festifs, épaulée de son orgue de barbarie.
De retour sur le sentier, nous poursuivons notre parcours, qui nous conduit au fond de la vallée jusqu’à la ville des Glaciers. Ce hameau est trop petit pour être qualifié de village, et nous n’apercevons aucun glacier à l’horizon. Ont-ils fondu? Nous sommes au début de septembre… À partir de là, nous enfilons une des variantes du TMB pour grimper jusqu’au col des Fours à 2665 m, point culminant de nos neuf jours de randonnée.
Nous voilà atrocement engagés dans une montée qui n’en finit plus. Comme pour toutes les longues et intenses ascensions précédentes, mon cœur palpite à fond de train. C’est Sam qui donne la cadence et son rythme est étourdissant. Frénétique et inépuisable, cet athlète est pire que le lapin au tambour des vieilles publicités de Duracell. Il se permet même des sorties de jogging après nos journées de randonnée. Heureusement, le jour, notre fougueux survolté sait refréner sa passion quand vient le temps de se sustenter.
Au col des Fours, nous évoluons dans un désert de pierres orangées aux origines énigmatiques. Ce décor, un tantinet lunaire, nous accompagne jusqu’au col du Bonhomme. Après les pentes d’éboulis caillouteux du secteur des Fours, nous retrouvons les plaines verdoyantes, et moi, mon souffle. Nous traversons la réserve naturelle de Contamines-Montjoie, la plus haute de France. S’ensuit une descente jusqu’au village du même nom où nous passons la nuit. Je risque une question candide à l’aubergiste, qui me répond bien humblement qu’il faut appeler les habitants du village des Contaminards et non… des contaminés.
Retour sur les hautes collines alpines après une traversée du village qui n’en finit plus. Nous abordons la réputée vertigineuse passerelle de Bionnassay, qui domine te torrent d’un des sept grands glaciers du massif. L’effet de vertige de cette passerelle tient surtout à son instabilité. Quant à l’imposant torrent, du fait des changements climatiques, on devine que ses jours sont comptés.
La force des paysages continue de nous insuffler de l’énergie durant cette dernière journée du TMB. Avant d’entrevoir Chamonix, alors que nous nous apprêtons à entamer la longue et dernière descente, nous croisons le train à crémaillère du Mont-Blanc, qui grimpe à plus de 2300 mètres d’altitude, jusqu’au panorama du Nid d’Aigle. C’est bien étrange d’assister au passage d’un train si haut dans les Alpes. Cette dernière descente se termine aux Houches, à l’entrée de Chamonix, au milieu d’une horde de touristes. C’est le temps des adieux! Sam nous apprend qu’il repart guider un autre groupe sur le TMB le lendemain matin. C’est dingue! Ce garçon n’a de cesse de nous étonner! Alors que nous envisageons un repos tout de même bien mérité, lui, à peine arrivé, ses piles sont déjà rechargées et il est prêt pour une nouvelle expédition!
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Claude Côté
Adolescent, il rêvait de parcourir le monde. À 23 ans, il a tout abandonné pour rouler sa bosse avec son sac à dos en Afrique du Nord, en Europe et en Asie. Son plus long voyage a duré 18 mois et c’est là qu’il s’est découvert une passion pour la marche. C’est la façon par excellence de découvrir le monde. Sa carrière comme photographe lui a permis de combiner cette passion avec la randonnée pédestre. Depuis 1998, il collabore à la revue de Rando Québec. Il adore marcher et faire des découvertes… et il aime tout autant en témoigner par l’écriture.
5 commentaires
Waouw waouw quel beau récit Claude
Et vraiment j’ai été très heureux de partager cette expédition avec toi et le super groupe que nous étions
Que de beau souvenir
Merci
Patrick
Quel organisation avez-vous fait affaire en France pour ce tour du Mont Blanc(une référence pour ce genre de tour pour la meilleur expérience).
C’était avec l’entreprise française Grand Angle (www.grandangle.fr). Nous avons eu un bon service.
Allo
Quelle est la forme physique demandée pour aller conquérir le Mont Blanc ?
Le tour du Mont-Blanc implique 8 à 10 heures de marche chaque jour et il faut compter en moyenne 1000 mètres de dénivelé cumulé, positif et négatif par étape. Si vous pouvez faire de la marche en montagne (avec dénivelé) à un rythme soutenu pendant 5 heures, c’est bon signe. Il importe de développer son endurance ainsi que son cardio pour les montées.