Le potentiel de la longue randonnée
Suivant le doux tumulte de la rivière et ses séries de cascades, le sentier de la rivière Swaggin rejoint la rivière L’Assomption où débute le sentier de la Boule. À cette intersection, sous les grands pins rouges dont les aiguilles tapissent le sol, un pont relie les rivages du cours d’eau ponctué des rapides à Bouleau et de la chute à Bouleau. Le chant de l’eau se fait entendre sur quelques centaines de mètres, tandis que les marcheuses et marcheurs s’enfoncent tranquillement dans la forêt lanaudoise où se poursuit le Sentier national au Québec…
De Saint-Donat à la réserve faunique Mastigouche, le Sentier national de Lanaudière représente plus de 170 km de sentiers dans la région. Ses tronçons traversent une multitude de territoires : de la montagne Noire, à Saint-Donat, il traverse la municipalité de Notre-Dame-de-la-Merci, le Parc régional de la Forêt Ouareau, puis les municipalités de Saint-Côme, Sainte-Émélie-de-l’Énergie et Saint-Zénon, pour finalement traverser la moitié de la réserve faunique Mastigouche où débute le Sentier national de la Mauricie.
À terme, l’ensemble de ces sentiers devraient totaliser plus de 220 km, projet ambitieux que les acteurs et actrices de la région n’ont pas abandonnés, malgré les défis de maintenance et de droits d’accès. L’agent de développement de Loisirs et Sports Lanaudière, Serge-Alexandre Demers Giroux, est l’un de ceux qui ont à cœur ce projet qui permettrait aussi aux sentiers de passer plus près de « milieux de vie » et de dynamiser la région. Ce n’est pas tout, le Sentier national de Lanaudière pourrait aussi devenir le deuxième sentier de grande randonnée (GR®) au Canada, suivant les pas du Sentier international des Appalaches au Québec (SIA-Qc), qui s’est fait homologuer GR-A1 par la Fédération française de la randonnée pédestre (FFRP). Cette appellation de GR-A pourrait être en place dès septembre 2024 affirme Serge-Alexandre.
Défis d’entretien
Faire rayonner un sentier étendu sur un si vaste territoire (et on ne parle ici que de la région lanaudoise) implique son lot de défis. Les différents organismes de la région doivent tous mettre la main à la pâte pour entretenir les sentiers et les maintenir en vie.
Simon Degranpré est coordonnateur au développement à la Société de développement des parcs régionaux de la Matawinie (SDPRM). L’organisation regroupe quatre parcs régionaux; des Sept-Chutes, de la Chute-à-Bull, de la Forêt Ouareau et du Lac Taureau. S’ajoutent à cela plusieurs tronçons du Sentier national du Québec (SNQ). Selon l’estimation de Simon Degranpré, des 300 à 400 km de sentiers pédestres dans la région, près de 170 km font partie du Sentier national de Lanaudière.
« On a des équipes d’entretien qui donnent un coup de main chacune dans leur tronçon. On voit [le Sentier national] un peu comme une colonne vertébrale à laquelle s’ajoutent les parcs régionaux », explique Simon. Si vous lui demandez s’il croit au potentiel touristique du Sentier national, il vous répondra que les possibilités sont infinies. « Il faut commercialiser ça, mais il ne faut pas se perdre… Le territoire est tellement grand. Le SNQ est à cette image, il traverse divers territoires : ZEC et pourvoiries », précise-t-il.
L’année 2022 a été marquante pour les gestionnaires de sentiers au Québec en raison des grands vents du printemps. « Ça a été une année plus difficile. On espère qu’il n’y aura pas un derecho par saison. C’était une année spéciale par rapport aux autres, une année exceptionnelle. Le corridor [de vent] qui est passé, c’était du jamais vu », se remémore le coordonnateur.
Réal Martel, bénévole de longue date sur le Sentier national, en sait aussi quelque chose. Sur le sentier Mistikush, dans la réserve faunique Mastigouche, les racines des arbres ont été considérablement fragilisées. Les arbres pouvaient tomber à tout moment, donc les gestionnaires ont dû fermer temporairement le sentier. « On compte environ 10 arbres tombés sur 2,5 km. Il faut faire de gros détours à cause des “murs” [constitués de] 7 à 10 arbres tombés et empilés », témoignait Réal à l’automne 2022.
Le Grand Masti
Dans le cas des tronçons situés sur le territoire de la réserve faunique Mastigouche, Rando Québec possède la gestion (bail) d’un hébergement assez unique : le Grand Masti, autrefois surnommé le Rockledge camp. On retrace la construction initiale du bâtiment autour des années 1940, par un certain M. Drisdale, un Américain de New York.
Pour la randonneuse Catherine Turgy, le Grand Masti fait partie des attraits du sentier national. « Le Grand Masti et la Mastigouche, c’est tellement riche d’histoire. Il y avait tous les vieux camps de chasse américains. Toute son histoire est fantastique, je trouve ça tellement intéressant. »
Ce vieux chalet de bois rond a, par miracle, évité la catastrophe lors de la tempête. Situé au cœur de la forêt, son accès est limité puisqu’il faut marcher plusieurs kilomètres sur les sentiers pour l’atteindre. « Le Grand Masti, c’est une pièce d’architecture. C’est assez impressionnant, les installations qu’ils avaient. Il y avait même de la plomberie et des réservoirs d’eau. On peut encore voir les vestiges », témoigne Catherine qui s’est engagée à l’automne dernier comme bénévole dans l’équipe de Réal pour faire des travaux de réfection sur le bâtiment.
Réal a mobilisé plusieurs personnes pour entreprendre les travaux d’amélioration sur ce patrimoine qui, bien que fonctionnel, gagne en âge. « Avant que ça se détériore, [Rando Québec] a décidé de changer les poutres. Il n’y a aucune infiltration d’eau. On va ajouter des panneaux solaires, il va y avoir du gaz aussi. Les arbres tombés vont permettre d’avoir du bois de chauffage. »
Outre son histoire, l’importance du Grand Masti repose aussi sur le fait qu’il est l’un des rares refuges dans son secteur. « Pour le moment, dans la section entre le parc des Sept-Chutes et l’accueil Catherine dans la réserve faunique Mastigouche, le Grand Masti est le seul hébergement à quatre murs disponible. Sinon, on parle de lean-to [appentis – NDLR] et d’emplacement de camping rustique. […] Un autre refuge pourrait être envisagé, mais avec la multiplication des règles en lien avec la protection des lacs, trouver un emplacement pour celui-ci est un casse-tête incroyable. Il est fort probable que l’on privilégiera l’expérience de type aventure et sauvage dans ce secteur en gardant l’option du camping sauvage identifié et du lean-to. », explique le directeur général adjoint de Rando Québec, Gregory Flayol.
La question des hébergements n’est pas banale, car c’est un des enjeux de logistique auxquels peuvent être confrontés les randonneuses et les randonneurs qui désirent s’aventurer sur un sentier de longue randonnée.
Logistique 101
Catherine Turgy a à son actif plusieurs longues randonnées. Sa plus récente est le parcours du Pacific Crest Trail (PCT) qui traverse la Côte Ouest américaine de la frontière avec le Mexique jusqu’à la frontière canadienne. Bien avant cela, soit en 2020, en pleine pandémie, Catherine avait effectué la traversée complète du SNQ (1 650 km). Le contraste entre les deux destinations est assez marquant, mais elle leur reconnaît quelques similarités. « Ce que j’ai connu aux États-Unis, c’est de pouvoir partir d’un point A, [parcourir] une longue distance et pouvoir dormir où tu veux, sans avoir à réserver. Tu peux être à l’écoute de tes limites. »
« Je retrouve un peu de ça à travers la Mastigouche et la Matawinie. C’est libre d’accès et en partage, dans l’esprit plus communautaire. En sortant [du sentier] des Contreforts, on tombe sur des terres de la couronne et on peut camper Sans trace et utiliser les lean-tos. C’est plus libre comme formule. C’est beaucoup moins complexe au niveau de la logistique, explique-elle. Dans les parcs de la Matawinie, tu dois payer et planifier toutes les nuitées… quand tu fais une longue traversée, ça devient compliqué. »
Du côté des Parcs régionaux de la Matawinie, Simon Degranpré est conscient des défis logistiques au niveau des hébergements : surtout pour les refuges, plus confortables et accessibles que le camping, mais qui doivent être réservés pour deux nuits minimum. « La pandémie a amené des changements dans la façon de gérer les refuges. On a pensé à l’option [de réserver pour moins d’une nuit en refuge] quand les gens font de la longue randonnée », précise-t-il. Par téléphone, il est désormais possible de réserver pour deux nuits dans deux refuges différents. D’ailleurs, cette option fait déjà de nombreux adeptes.
« On le voit assez régulièrement par exemple pour les refuges Lavigne et La Boule. Des fois, ils font aussi le refuge Swaggin pour partir de la Forêt Ouareau et sortir au Sept-Chutes. Ils peuvent faire quatre nuits ou trois nuits en combinant. Mais quand on réserve en ligne, le système ne le permet pas », rappelle Simon Degrandpré. Il confirme aussi que des projets de construction de nouveaux refuges pourraient bientôt se concrétiser dans le secteur des Contreforts.
En route vers un nouveau GR-A?
La Fédération française de la randonnée pédestre (FFRP) a créé en 1947 l’appellation GR® pour Grande Randonnée. Les adeptes de longue randonnée européenne auront certainement reconnu les balises composées d’un trait rouge surmonté d’un trait blanc. Cette appellation comporte toutefois un nombre d’exigences assez important.
« Même en France, ils ont de la difficulté à répondre aux [exigences du] cahier des charges. Nous, on a tout de suite repéré que ce serait impossible au Québec. Ce qu’on propose c’est une immersion dans le milieu naturel, résolument sauvage, un contact privilégié avec la nature. Ça veut dire qu’au niveau des hébergements, il pourrait n’y avoir sur certaines sections que des campings et des lean-to », explique Gregory Flayol au sujet du projet de GR-A au Québec.
Le A, c’est pour Aventure. S’inspirant des modèles nord-américains, Rando Québec développe avec la FFRP une appellation conjointe, idée à l’égard de laquelle les cousins Français se sont montrés favorables, car ils ont invité la direction générale de Rando Québec à venir présenter le projet, dans le cadre de leur Assemblée générale, sur la Côte d’Azur. Si on allait de l’avant avec cette idée, cela voudrait dire que Rando Québec pourra identifier et labelliser des sentiers à l’international.
Mais cela, c’est seulement si la marque est déposée. Advenant qu’elle soit développée dans d’autres pays, Rando Québec pourrait être sollicité pour vendre les concepts à l’international. « Tout comme ça se fait aujourd’hui pour le GR, on pourrait le faire pour le GR-A », souligne Gregory pour qui le projet permettra de développer considérablement le marché de la randonnée pédestre sous l’angle touristique.
À long terme, Rando Québec et Sports et Loisirs Lanaudière espèrent que cette appellation reconnue pourra permettre aux sentiers de longue randonnée comme le Sentier national de Lanaudière de rayonner auprès d’une plus grande clientèle, locale et internationale. Mais surtout, ce projet pourrait démontrer le plein potentiel de ce type d’offre de plein air afin de convaincre les différents acteurs de l’industrie touristique de l’importance d’investir dans l’entretien et le développement des sentiers au Québec. Un pari qui n’est pas encore gagné…
Cet article est initialement paru dans la revue d’automne « écologie et sentiers »
Pour ses 35 ans, la revue Rando Québec présente un numéro spécial Écologie et sentiers. En plus des rubriques habituelles, découvrez des initiatives des organismes dédiés à la protection de nos espaces naturels dans un dossier central d’une vingtaine de pages.
Dominique Caron
Après un baccalauréat en communication, Dominique flirte longtemps (et encore aujourd’hui) entre le monde du plein air et de la culture. D’origine abitibienne, c’est à Montréal qu’elle complète son DESS en journalisme et se lance dans la belle aventure de la vie de pigiste. Elle pratique aussi la photographie, d’ailleurs ses amis lui reprochent souvent de prendre un peu trop de photos (et de poser trop de questions) Dominique est rédactrice en chef de la revue Rando Québec.
1 commentaire
A mon avis, le A de GR-A1 serait pour Amérique plutôt qu’Aventure comme on peut le lire ici : https://www.ffrandonnee.fr/s-informer/actualites/quebec-inauguration-du-sentier-gr-a1-en-gaspesie