Depuis Montréal, nous avons roulé à travers Lanaudière, la Mauricie, la Capitale-Nationale, Charlevoix et même la Côte-Nord. Pourtant, la destination finale n’appartient techniquement à aucune de ces régions. C’est plutôt au Saguenay–Lac-Saint-Jean que notre randonnée débute, dans le parc national du Fjord-du-Saguenay : sur le sentier Le Fjord.
Je compte les kilomètres à rebours en passant chaque balise. Je me dis « 16 bientôt 15 » puis « 15 bientôt 14 » pour garder mes jambes en action. Il a plu toute la matinée et, même s’il ne pleut plus, je suis couverte de sueur. Il fait chaud et nous avons une longue journée devant nous : plus de 23 km. Heureusement, même avec le sac à dos qui pèse, les panoramas du sentier Le Fjord me réconcilient avec notre choix de randonnée.
C’est notre deuxième journée sur ce sentier de plus de 43 km et une question me hante : qui a bien pu penser à ce tracé? Qui est assez fou pour réaliser ce parcours où on trouve parfois des escaliers en bois en plein milieu d’une forêt ponctuée de monolithes et d’immenses surfaces rocheuses?
Caractère d’exception
Le vaste fjord du Saguenay fait plus de 100 km : il s’agit du plus long du monde à cette altitude. C’est au fil de ce dernier (ou du moins en partie) que s’étend le parc national du Fjord-du-Saguenay. Il est divisé par les rivages du fjord, qui sépare le parc de deux côtés est et ouest, lesquels sont composés de différents secteurs. Le parc national partage aussi les lieux avec le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, endroit privilégié pour l’observation de baleines et de bélugas.
Le sentier Le Fjord débute du côté est, dans le secteur de la Baie-Sainte-Marguerite. Après quelques kilomètres, le sentier croise rapidement la Halte du Béluga où, en juillet et en août, on peut observer des femelles et leurs petits. Pour la petite histoire, on estime qu’à la fin du 19e siècle, le fjord accueillait entre 7 800 et 10 000 bélugas. La chasse étant la principale menace pour ces mammifères marins, elle fut interdite en 1979 par le gouvernement du Canada. Malgré tout, depuis la mise en place de la législation, les populations de bélugas continuent à décliner. Selon un document de la Sépaq, il y aurait maintenant environ 900 bélugas dans les eaux du Saint-Laurent. De passage lors du mois d’août 2022, nous avons fait un petit détour pour atteindre cette halte, question d’y prendre une pause-repas. Laissez-moi vous dire que le plaisir d’observer des bélugas est tout simplement extatique!
Halte aux bélugas
Prouesses techniques
Martin Houde, responsable de la maintenance et des infrastructures au parc national du Fjord-du-Saguenay, peut témoigner des défis d’aménagement et de développement d’un tel parcours. « Ce ne sont pas des missions faciles en termes d’entretien et de mise en place d’infrastructures. On parle d’une quarantaine de kilomètres de sentiers avec très peu d’accès. La plupart des travaux manuels sont faits à bras. »
Il suffit de prêter attention aux différentes structures croisées sur le sentier pour comprendre l’ampleur du travail technique que comporte le sentier Le Fjord. Plus on s’enfonce dans la forêt, plus on se surprend de trouver des escaliers en bois ou de superbes hébergements en bois nichés en bordure de falaise
On retrouve aussi plusieurs appentis (lean-to), construits plus tard, en complément des refuges. « On les voit beaucoup [les lean-to] dans les parcs américains, mais on voulait offrir cette option. On trouvait que la formule d’un parcours de 43 km se prêtait à ce type d’hébergement-là. C’est quand même bien utilisé. C’est une expérience en soi! » explique-t-il. Ce type d’hébergement n’est pas une formule qu’on observe souvent à l’échelle de la Sépaq, souligne Martin. Les parcours de longues randonnées se font assez rares également. Le sentier Le Fjord est, de plusieurs façons, une entité rare dans le réseau de la Sépaq.
Abris trois murs Des Cèdres
On en vient à se demander qui et comment a-t-on réalisé un projet comme celui-ci? Malheureusement, la documentation disponible ne retrace pas d’historique précis. Par contre, on sait que le sentier existait déjà dans les années 1990. Le manque d’archives s’expliquerait aussi par le fait que le sentier s’est créé progressivement, en plusieurs phases, en impliquant différentes personnes spécialisées dans l’élaboration du parcours.
L’idée de ce sentier est déjà ambitieuse, vue sa localisation, en bordure des falaises du fjord dont les accès sont limités. Ajoutons à ces défis d’entretien qu’ils ont lieu dans une région où la température laisse une très petite fenêtre de disponibilité : « Les travaux d’aménagement se passe de mai à fin octobre. Entre-temps, on ne peut pas entreprendre de travaux », précise Martin Houde.
Les hélicoptères à la rescousse!
Chaque année, Martin et son équipe élaborent un plan d’aménagement. Celui-ci prend d’ailleurs souvent en compte les commentaires des randonneurs, fournissant de précieuses informations sur l’état des sentiers. Grâce à ce plan, les infrastructures à modifier ou à implanter sont prévues et planifiées : « On quantifie les matériaux dont on a besoin et on fait venir les hélicoptères depuis nos entrepôts. On prépare nos paquets de bois [NDLR : les hélicoptères portent des charges limitées] pour ensuite les mobiliser à chacun des endroits précis », raconte le gestionnaire.
Les défis ne s’arrêtent pas ici. Ces travaux faits à bras demandent une mobilisation importante des membres de l’équipe. Comme ils sont à pied – le sentier ne permet pas de circuler autrement dans plusieurs sections, faute d’accès – le choix des équipements n’est pas moindre. Travaillant avec pics et pioches, les aménageurs tentent de conserver l’aspect le plus naturel possible du sentier. « On essaie de travailler avec des pierres pour faire des marches en pierre avec des matériaux naturels. C’est ce qu’on préconise. C’est sûr que de travailler avec les matériaux naturels va leur permettre de durer dans le temps et, visuellement, pour le randonneur, ça conserve des aspects naturels. »
Sur un sentier comme celui-ci, l’entretien régulier est nécessaire si on ne veut pas se retrouver avec des enjeux de structure majeurs. « Minimalement, il faut mettre environ 2500 à 3000 heures de personnes en entretien préventif, si on ne veut pas avoir à faire des travaux correctifs », spécifie Martin Houde.
Alors si vous vous aventurez sur le sentier Le Fjord pour compléter ses 43 km, et qu’en chemin votre sac à dos et son poids commencent à jouer sur votre mental , pensez à ces vaillants aménageur.euses de sentiers qui arpentent ce même terrain avec leurs outils sur le dos…
La Ferme 5 Étoiles
Située à Sacré-Cœur, à quelques kilomètres de l’accueil de la Baie-Sainte-Marguerite, la Ferme 5 Étoiles offre un service de navette (et bien plus!). Elle a de nombreux types d’hébergement ainsi que des kilomètres de sentiers. Le sentier Le Fjord emprunte d’ailleurs ses sentiers dans son parcours linéaire grâce à une entente de passage avec le parc national.
Cet article est initialement paru dans la revue «Randonnées sur les îles du Québec»
Le fleuve Saint-Laurent est un élément clé de nos paysages : son golfe, son estuaire, son fjord… toutes ses particularités sculptent nos régions. Ses îles y sont très nombreuses, certaines protégées et d’autres habitées. Cet été, laissez-vous porter jusqu’à l’île la plus proche de chez vous, dont vous ignorez peut-être même l’existence, qui sait?
Dominique Caron
Après un baccalauréat en communication, Dominique flirte longtemps (et encore aujourd’hui) entre le monde du plein air et de la culture. D’origine abitibienne, c’est à Montréal qu’elle complète son DESS en journalisme et se lance dans la belle aventure de la vie de pigiste. Elle pratique aussi la photographie, d’ailleurs ses amis lui reprochent souvent de prendre un peu trop de photos (et de poser trop de questions) Dominique est rédactrice en chef de la revue Rando Québec.