Avant de partir sur l’Appalachian Trail (AT) le 5 mars dernier, j’avais mis sur papier les raisons pour lesquelles je m’autoriserais à quitter le sentier. Il n’y avait que deux raisons qui m’avaient semblées valides, à deux semaines de mon départ. Je ne quitterais l’AT que si un membre de ma famille tombait gravement malade ou si je me blessais assez sérieusement pour être incapable de continuer. De tous les scénarios que j’avais imaginés, une pandémie ne faisait pas partie des hypothèses les plus farfelues qui auraient pu effleurer mon esprit à ce moment-là.
Alors que toutes sortes de questions se bousculaient dans ma tête à la veille de mon départ concernant mon équipement, ma préparation physique, la météo ou encore mes ravitaillements, la COVID-19 n’était pas encore au coeur des conversations quotidiennes et le mot quarantaine semblait tout droit sorti d’un mauvais film.
Je ne me doutais pas qu’à peine 20 jours après mon départ sur l’AT, le coronavirus viendrait faire pause sur un projet que j’avais si minutieusement préparé depuis cinq ans.
Les nouvelles circulaient rapidement sur l’Appalachian Trail malgré l’absence de réseau cellulaire dans certaines zones. Je suivais attentivement la progression du virus via ma famille, les autres thru-hikers et l’information de masse qui circulait en ligne, mais j’avais d’autres préoccupations en tête.
Mon énergie était consacrée à m’adapter à ma nouvelle vie en nature, à la pluie et au froid, à la douleur sous mes pieds et à mon nouveau régime principalement constitué de gruau, de barres protéinées et de repas lyophilisés. Mes pensées étaient constamment tournées vers le nombre de miles à parcourir, la météo changeante et la prochaine fois que j’aurais l’occasion de me doucher; un luxe que je m’autorisais une fois par semaine. Des changements importants s’opéraient en moi et me faisaient oublier les changements qui, eux, bouleversaient le monde extérieur. La trail faisait en quelque sorte office de barrière entre nous, les randonneurs, et le reste du monde.
Alors que le corona faisait de plus en plus les manchettes, certains abandonnaient leur thru-hike. Au cours de mes deux premières semaines de randonnée sur l’AT, je croisais environ une vingtaine de randonneurs chaque jour, mais ce nombre a rapidement baissé et vers la troisième semaine, je croisais à peine deux ou trois thru-hikers quotidiennement.
Et puis, les nouvelles ont déboulé très rapidement. Le comté de Graham dans lequel je me trouvais a déclaré un état d’urgence local le 21 mars, mettant fin à tous les services non-essentiels comme les hébergements et services de navette; ces choses pourtant si essentielles aux randonneurs qui devaient sortir du sentier pour se ravitailler, prendre une douche et recharger leurs batteries. L’Appalachian Trail Conservancy, organisme qui préserve et gère l’AT, s’est montré insistant en demandant aux thru-hikers de quitter l’Appalachian Trail. Le Great Smoky Mountain National Park dans lequel je m’apprêtais à entrer a annoncé la fermeture complète de ses sentiers et installations dans les jours qui ont suivi.
C’était terminé.
Je suis sortie de l’Appalachian Trail le 24 mars après 20 jours, 279 km de randonnée et plus de 11 000 mètres de dénivelé.
Le 1er avril, alors que j’étais assise dans l’avion qui me ramenait à la maison, toutes sortes de questions se bousculaient dans ma tête. Quand allais-je pouvoir retourner sur la trail? Dans quelques mois? Dans quelques années? Il y avait trop de questions qui, à mon grand désarroi, ne trouvaient pas de réponse.
La résilience a parfois un goût amer, mais quand on se permet d’y goûter, on découvre qu’elle cache un éventail de possibilités. En attendant de pouvoir fouler la trail à nouveau, je consacre mon énergie à d’autres projets.
De temps à autre, quand je suis un peu dans la lune, je laisse les doux souvenirs de la trail refaire surface et je me dis que…. ça va bien aller.
Magalie Hurtubise
S’il y a un mode de transport que Magalie affectionne particulièrement, c’est bien la marche à pied. La nature, qu’elle considère comme sa deuxième maison, est un terrain de jeu qu’elle explore une montagne à la fois. Elle éprouve un sentiment d’humilité face à ces vastes espaces qui ne la laissent pas indifférente. Habitée par un désir de sortir de sa zone de confort, elle repousse ses limites en parcourant de longs sentiers de randonnée qui aiguisent ses réflexes et qui font d’elle une randonneuse aguerrie. Enthousiaste et facile d’approche, elle souhaite faire découvrir le monde du thru-hiking à tous ceux et celles qui, comme elle, ont les yeux brillants d’étoiles quand il est question de randonnée.
3 commentaires
Est-ce que Magalie a un compte Facebook ou Instagram pour qu’on puisse suivre son périple lorsqu’elle pourra reprendre?
Oui, vous pouvez me suivre ici: https://www.facebook.com/magaliehurtubise 🙂
Bravo et bon courage Magalie!