Texte : Renaud Dionne
Photos : Dominique Caron
En été 2021, Renaud Dionne a décidé de traverser en solo une partie du Québec à pied, du phare de Cap-Gaspé jusqu’à Val-David, dans les Laurentides. Cette aventure a duré 75 jours, du 15 juin au 29 août, avec une seule journée de repos. . Marchant de 10 km à parfois 60 km par jour, Renaud a complété 2 230 km sur le Sentier international des Appalaches du Québec (SIA-QC), la NB Trail 9 au Nouveau-Brunswick, le parc linéaire du Petit-Témis, le Sentier national (SNQ) du Bas-Saint-Laurent, de Charlevoix, de la Capitale-Nationale, de la Mauricie et de Lanaudière (jusqu’au lac Cameron, à Amherst), ainsi que des sections de la route 132, de la route 138 et du parc linéaire du P’tit-Train du Nord. Ceci est son récit.
JEANS ET BAS DE COTON (2013)
Juin, 2013 : départ en solo de Forillon; je prends la pose pour la photo, ma sœur dans mes bras, en plus de mon énorme sac à dos qui déborde de « trop de tout ». Je suis confiant, je suis chez nous, au Québec. Je considère, à tort, que le SIA sera plus facile que mes expériences passées dans la jungle ou sur certains sommets des Andes en saison des pluies. Ayant déjà habité et exploré la Gaspésie, je m’attends à affronter un froid que je connais, des moustiques que je connais, des dénivelés que je connais… Et puis, après seulement six jours, j’attends assis sur les marches d’un dépanneur l’autobus qui me ramènera à Montréal; j’ai des blessures aux pieds, les cuisses irritées et je ne retrouve plus le sentier. Les souvenirs qui se graveront suivant ces six jours sont assurément celui de la difficulté du sentier, mais surtout celui de l’hospitalité des Gaspésiens, que ce soit les nombreuses invitations pour les fêtes de la Saint-Jean-Baptiste lancées d’une fenêtre ouverte de véhicule ou l’invitation à guérir mon pied chez un homme dont le colocataire venait d’être emprisonné (!) Merci la Gaspésie d’être si chaleureuse et de toujours me surprendre! À bientôt.
Quelques années plus tard (2020-2021)
Mon passeport pour le SIA, d’une durée valide de 10 ans, arrive à échéance. Je décide de me relancer et d’être mieux préparé; j’enchaîne beaucoup de contenus de youtubeurs dont : Jupiter Hike, Darwin onthetrail, Homemade Wanderlust, De Sommets en Sommets, etc. Je construis une multitude de classeurs Excel avec des noms comme « Poids de nouvel équipement vs prix », « Tableau bouffe comparatif calories/poids » . Je décide que je partirai avec des équipements que j’ai testés et que je trouve confortables. J’essaie des trucs, j’achète une bâche de LiteOutdoors (super bâche en soi) au lieu de ma tente, mais j’abandonne l’idée. J’essaie des souliers Altra Lone Peak 5, mes orteils sont heureux, je garde. Je me fais une jupe de pluie à partir d’un sac de poubelle, c’est léger, ça couvre l’essentiel, je garde. Je me découpe un tapis de sol à partir de plastique pour recouvrir les fenêtres (Polycryo 1,5 mm), il n’est pas percé après les nuits passées, je garde. J’essaie aussi de tremper à froid des flocons de sarrasin, c’est ok, ça passe, j’en mets dans mes boîtes de ravitaillement sans pousser plus loin l’idée qu’après 10 jours consécutifs à en manger, je risque de m’écœurer, ce qui arriva bien sûr.

EN EXTRA
La vue d’ensemble du Sentier national sur le site de Balise Québec me fait rêver. Je décide que je commencerai par le SIA-QC et que, si ça se passe bien, je vais revenir jusque chez moi à Val-David (Laurentides) par les différentes sections du Sentier national au Québec (SNQ). Alors j’achète, je rogne et j’imprime une centaine de petites cartes que je dépose dans mes boîtes de ravitaillement, colis que je récupérerai aux différents bureaux de Postes Canada en cours de route. Après avoir planifié au départ divers autobus entre certaines sections de sentiers non-reliées, je décide sur le chemin même que je ferai le tout à pied après avoir surprenamment apprécié l’asphalte de la 132 en Gaspésie. La diversité, c’est bien.
LE « POURQUOI »
Pourquoi je marche? Je fais de « longues » randonnées principalement pour mieux vivre avec les questions auxquelles je n’ai pas de réponses, pour intégrer d’une façon plus soutenue l’impermanence et les opportunités que ma vie m’offre. Je marche pour remettre mon « moi » à sa place, pour me remémorer que je suis une personne interdépendante de tout ce qui m’entoure, une petite onde qui se déplace parmi un tout beaucoup plus grand. Après 20 jours de randonnée, à un moment où l’adrénaline de la vitesse était sournoisement en train de prendre le dessus sur mes motivations initiales, j’ai rencontré deux femmes enjouées et absorbées par les couleurs intenses de la végétation du plateau proche du sommet du mont Albert. Elles ne cumulaient pas les kilomètres, elles étaient tout simplement là, posées, pendant que des randonneurs nous dépassaient avec les yeux rivés sur le sommet. À profiter ainsi des petits choses qu’on oublie si facilement, elles m’ont fait réaliser que j’oubliais tranquillement mes buts initiaux : prendre mon temps, contempler, profiter de la beauté. À ce moment, j’ai compris que mon plus grand défi à moi serait de me ralentir.

Note de journal du 5 juillet 2021
20e jour : proche du mont Logan dans le parc de la Gaspésie
Un autre original (autocorrecteur de mon cellulaire, lire orignal)! Je réalise que je me laisse de plus en plus entraîner par l’adrénaline de la vitesse au détriment de la contemplation. L’émerveillement du début fait place tranquillement à une plénitude; la nature est passée d’une entité distincte à une partie indivisible de moi-même. Elle s’est engouffrée quotidiennement par le nez, les oreilles et les yeux jusqu’à percer l’illusion qu’on est deux choses distinctes. Et ce ne fut pas discret, des effluves d’humide verdure, la senteur des orignaux, des odeurs sucrées libérées par le soleil, des bruines résineuses dégagées au contact de mon passage, du pesant brouillard qui isole chaque petit son, du soleil qui ramène le chant d’espoir des oiseaux, et de ces chants qui annoncent ton passage. Alors que je me sens n’être qu’un avec ce qui m’entoure, je perds le réflexe de m’arrêter devant ce qui me paraît être devenu mon quotidien, un peu de la même façon qu’à force de le côtoyer, je suis peu porté à contempler mon petit doigt. Et, après longue réflexion, je me dis qu’on devrait peut-être juste s’intéresser plus souvent à son petit doigt.
« Pourquoi » j’écris ça, j’en suis moins certain. J’aime discuter de ce qui me passionne, j’aime la communauté et j’aimerais que tous et toutes puissent vivre ces moments. C’est une invitation sérieuse. Je n’ai pas l’impression d’être la meilleure personne pour te dire avec quel matelas tu devrais partir, mais je peux te dire que mon matelas de mousse bleu coupé aux fesses, mon coccyx ne l’aimait pas beaucoup.
Je peux t’expliquer « pourquoi » la note que je me suis laissé sur mon cellulaire à ma première journée sur le SIA du Nouveau-Brunswick est : « plate » et que ma note à la deuxième journée est : « encore plus plate ». Je suis conscient que le Nouveau-Brunswick ne se résume pas à ce trajet et je dois mentionner que c’est dans cette province que j’ai cumulé le plus de rencontres humaines incroyables.

Je peux t’expliquer aussi que cette aventure m’a mis des larmes de joie aux yeux plusieurs fois, mais aussi que la générosité des gens m’a surpris comme à ma première tentative sur le SIA : une casquette donnée par un commis de quincaillerie à Grande-Vallée, une invitation d’une voisine du sentier pour un spectacle à la Pointe-Sèche à Mont-Louis, un repas de crêpes et café chez ma voisine de Mont-Louis, un couple de campeurs au camping du Mont-Jacques Cartier qui accepte de prendre mes bottes jusqu’à mon retour, bottes que j’abandonne pour des chaussures, des gorgées de whisky par l’aventureux Lucien au camping Les Saules, la présence de deux amis durant cinq jours sur les montagnes russes de la réserve faunique de Matane, du 7 Up et des barres tendres par des gens en quatre-roues sur le SIA du Nouveau-Brunswick, du papier Q au Couche-Tard de Kedgwick, un appartement pour dormir et une grosse pizza par la serveuse d’un resto à Saint-Quentin, un remplissage de bouteilles d’eau par des balconistes de la 144 à Saint-Basile, un café avec Napoléon, 87 ans, qui me montre ses peintures à Edmundston, une nuit en chalet au Bas-Saint-Laurent avec trois whippets, des œufs, une truite, des crudités, du pain et une pomme servis sur un plateau, une nuit de repos chez une tante et un oncle à Rivière-du-Loup, des gens sympathiques qui me donnent des cerises, des chips, des raisins, du yaourt à Saint-Urbain, du chocolat et des toasts au beurre de pinottes contre de l’aide pour bouger les meubles d’une dame blessée au dos à Saint-Narcisse, des barres énergétiques, des dattes, du chocolat, des barres de fruits données par deux cyclotouristes et un « van-lifer » à Saint-Narcisse, des bières et des discussions dans la Matawinie. Et des pancartes laissées par mon père sur le chemin de la maison : « Bienvenue chez toi ! »
Merci à Gilbert, Jocelyne, Cléophée, Joseph-Alexis, Sylvain, Judith, Martin, Adrien, Aurélie, Michel, Dominique, Lucien, Ti-Poux, Anaïs et à tous ceux et celles qui entretiennent les sentiers. Merci aussi à Catherine Turgy dont j’ai probablement longé les empreintes sur un bon nombre de sentiers.
1 commentaire
J’apprécie beaucoup l’honnêteté humaine de ce partage. Ce mélange de pratico-pratique et d’introspection que seule l’expérience vécue peut procurer. J’en lirais plus et pas tant un guide que ces réflexions au jour le jour, ça vaut 100 cours de philo. Merci d’oser l’aventure..