Avantages et enjeux d’un modèle porteur
Les coops et les OSBL ont une place importante et primordiale dans l’échiquier du plein air au Québec. Même s’ils sont souvent sous-financés, et sous-estimés par certains, ce qu’ils accomplissent au quotidien est digne de mention. Voici le portrait d’un modèle dont les enjeux sont des moteurs de changements et de développements, et ce, grâce à la créativité de tous ces passionnés visionnaires qui priorisent le mode solution.
Par Sandra Mathieu
Photo : Amy Gagnon – Vallée Bras-du-Nord
On n’a qu’à se rendre dans l’onglet Histoire en évolution sur le site Web des Sentiers de l’Estrie pour réaliser à quel point le petit groupe initial a rêvé grand pour ainsi devenir un précurseur dans le milieu du plein air. Inspiré de ce qui se faisait de mieux aux États-Unis, le plus ancien sentier de longue randonnée au Québec s’est développé « mètre après mètre » depuis 1968.
Reconnus comme organisme de bienfaisance, les Sentiers de l’Estrie ont comme principale mission de promouvoir la marche, en rendant les sentiers accessibles et en proposant des activités d’initiation et de perfectionnement à la randonnée en forêt. Ils sont aujourd’hui cités en exemple ici et ailleurs.
« On est devenus des chefs de file en aménagement de sentiers à faible impact; c’est notre spécialité, souligne Julie Denis, directrice générale des Sentiers de l’Estrie depuis un an. Pour certains, ça peut paraître étonnant pour un OSBL, mais notre structure ressemble à celle d’une PME. Le travail en comités nous permet d’être efficaces : coordination d’activités, reconnaissance des bénévoles, aménagement des sentiers, communications, finances, etc. Malgré une très petite équipe permanente, nous accomplissons de grandes choses. On peut compter sur des administrateur·trices qualifié·es et tous ont de l’intérêt pour la randonnée. Ils sont aussi les gardiens et la mémoire de toute notre histoire, tout comme nos précieux bénévoles. »
Photo : Koraly Boisseau – Sentiers de l’Estrie
L’équipe s’est également dotée de méthodes de travail, de protocoles d’intervention, de règles et de guides de formation autant pour protéger les randonneur·ses et préserver l’écologie du milieu que pour respecter la propriété privée des lots traversés.
« Dans le passé, on se fiait à la bonne entente avec les propriétaires de terres privées, et au fil du temps, le territoire s’est fractionné et la pérennité a été compromise, ajoute Julie Denis. Aujourd’hui, nous négocions des droits de passage qui se renouvellent, nous travaillons avec les organismes de conservation, les MRC, les municipalités et les propriétaires privés. »
Les Sentiers de l’Estrie ont d’ailleurs lancé en octobre 2023 une démarche de concertation, en collaboration avec le Conseil Sport Loisir de l’Estrie (CSLE), dans le but que l’Estrie se dote d’une politique régionale de sentiers pédestres. « Pour nous, les enjeux deviennent des moteurs pour trouver des solutions et avancer », s’enthousiasme Julie Denis.
La coop de plein air et ses pratiques innovantes
La Vallée Bras-du-Nord est assurément une pionnière dans la gestion participative du territoire. Créée en 2002, la coopérative est aujourd’hui reconnue mondialement pour ses pratiques écoresponsables innovantes. L’équipe prône le plein air de proximité et a une réelle volonté de connecter ses pôles d’activités et de développer les activités dites quatre-saisons.
« La coopérative est un modèle d’affaires structurant et pérenne, et je suis toujours aussi fier d’en faire partie, confie Étienne Beaumont, directeur-adjoint et coordonnateur du projet En marche pour la coopérative de solidarité Vallée Bras-du-Nord, qui se décrit lui-même comme un idéaliste sur son X! Ici, le cadre de développement durable n’est pas galvaudé, c’est une obligation si on veut être cohérent avec notre mission et nos valeurs, mais en plus on a une obligation de rentabilité. Le défi c’est de trouver des membres qui ont ce souffle-là, c’est une vocation et ça demande beaucoup de sacrifices. »
Photo : Amy Gagnon – Vallée Bras-du-Nord
Il parle du projet En marche avec des étincelles dans les yeux. En effet, il y a de quoi être fier, car jusqu’à présent 300 jeunes ont participé à la construction et à l’entretien des sentiers de la Vallée Bras-du-Nord par l’entremise du projet. De ce nombre, 75 % ont réintégré le marché de l’emploi ou ont fait un retour aux études. La coop soutient ce projet à bout de bras, car le financement a atteint sa capacité maximale. Le défi de l’équipe : trouver une solution pour soutenir le programme par les canaux traditionnels, car, pour l’instant, les fonds pour les organismes communautaires ne sont pas accessibles.
Pour Étienne Beaumont, la coop incarne un côté collectif fort et elle doit répondre à des attentes liées au lien d’affaires. La concertation et la communication sont de mise. « La gouvernance demande énormément de temps. Les intérêts sont très divergents selon qu’on est un membre travailleur, un producteur, un employé de soutien, etc. On est dans une démocratie participative et chacun doit comprendre son rôle. C’est une grande force si on garde une vision commune. Il y a un important sentiment d’appartenance. »
Une fusion qui donne des ailes
Après plusieurs années de collaboration, les Sentiers de la Capitale et la Traversée de Charlevoix ont décidé à la fin 2018 d’unir officiellement leurs forces en fusionnant sous Sentiers Québec-Charlevoix.
« Les deux organismes étaient à la croisée des chemins, dans une situation de précarité, avec des bénévoles vieillissants et un enjeu de relève au niveau de l’entretien des sentiers, explique Justin Verville Alarie, directeur général des Sentiers Québec-Charlevoix. Cette fusion a permis des économies d’échelle, une plus grande attractivité pour la main-d’œuvre, un contexte plus favorable pour des subventions et la possibilité de payer une équipe permanente. »
Photo : Nadia Fredette – Sentiers de l’Estrie
Main-d’œuvre et financement : défis et solutions
Malgré le contexte de pénurie de main-d’œuvre, les Sentiers de l’Estrie attirent chaque année des jeunes qui ont envie de s’impliquer et de faire une différence. « Cet engouement pour le travail dans la nature reste, et ces jeunes seront un jour de bons bénévoles, car ils développent une fierté à s’impliquer pour un chef de file », souligne Julie Denis.
Selon elle, le défi du recrutement n’est pas lié au manque d’intérêt, mais plutôt à la rigidité des programmes de subventions. Elle travaille d’ailleurs avec le gouvernement afin de trouver des solutions pour aider les OSBL. De plus, elle aimerait que l’organisme puisse compter sur des subventions pour le développement, mais elle déplore cependant le peu qu’il reçoit pour l’entretien et les enjeux amenés par les changements climatiques.
« Ce qui nous fait vivre, ce sont les affiliations des membres (plus de 2000 en 2023) et les permis journaliers. Notre objectif est de donner accès à la nature, à prix modique, ajoute Julie Denis. Grâce aux patrouilleurs bénévoles et à l’aide de la signalisation, nous sensibilisons les randonneurs à l’importance de payer le droit d’accès et leur expliquons que leur contribution financière sert au développement et à l’entretien du réseau de sentiers. »
Pour les Sentiers Québec-Charlevoix, les chalets sur le territoire sont le pain et le beurre. « L’an dernier, on a lancé une campagne de sociofinancement, ce qui a permis d’interpeler la communauté, de l’inclure dans un projet porteur pour la région », mentionne Justin Verville Alarie. En effet, le 4 décembre dernier, l’organisme a récolté 40 372 $ (sur un objectif de 35 000 $) grâce à une campagne de financement via La Ruche. Le montant permettra de contribuer à la construction de nouveaux refuges et à la mise à niveau ainsi qu’à la transition énergétique des infrastructures d’hébergement associées à la longue randonnée.
Photo : Sentiers Québec-Charlevoix
La nature en héritage
« Les administrateurs, les dirigeants, les employés et les bénévoles qui s’impliquent dans un OSBL de plein air le font pour laisser quelque chose en héritage et pour participer au patrimoine. C’est une histoire d’amour et de passion, la force de la collaboration, et chaque humain est important dans l’équation », fait valoir Julie Denis.
De son côté, Justin Verville Alarie souscrit complètement au modèle d’économie sociale. « Malheureusement, on voit souvent les OSBL comme des organismes qui ne font que demander, et c’est une étiquette qui nous colle à la peau, mais je pense qu’on est dans un beau tournant. Je suis persuadé que l’on peut être d’importants leviers de développement social et des créateurs d’emplois à long terme. On est capable d’être rentables et de réinvestir. Le défi, c’est de trouver l’équilibre entre la viabilité financière, la mission sociale, l’accessibilité au territoire et sa préservation. »
Pour Étienne Beaumont, la coopérative est devenue le moteur d’un milieu de vie dynamique. « Avec les années, même si on dérange parfois, les parties prenantes ont appris à nous faire confiance. Le développement permet d’être fort économiquement parlant. On sait que chaque dollar investi dans la Vallée rapporte de 10 à 15 fois plus, mais on doit tenir compte de la capacité d’accueil, respecter les droits de passage; on veut garder une expérience authentique au cœur de ce patrimoine naturel et éviter de surcharger la destination. La coop c’est une drôle de bibitte, et je crois que ça répond aux enjeux actuels du plein air : le développement durable et le développement social. Il faut démocratiser le plein air, se réapproprier le territoire, adopter un mode de vie actif… ça fait partie de notre patrimoine collectif. »
Photo : Sentiers Québec-Charlevoix
Le saviez-vous?
La Traversée de Charlevoix aménage et entretient plus de 188 kilomètres de sentiers de courte et longue randonnée ainsi que 13 chalets qui permettent la pratique de la randonnée pédestre et du vélo de montagne en été, du ski de randonnée et de la raquette en hiver.
Les Sentiers de la Capitale planifient, réalisent, entretiennent, signalisent et cartographient des sentiers pour des gestionnaires, y compris des segments du Sentier Transcanadien et du Sentier national.
La coopérative Vallée Bras-du-Nord couvre un territoire où cohabitent des personnes aux intérêts variés. Cette cohabitation favorise un dialogue et une concertation continus afin de concilier les exigences économiques, sociales et environnementales de la Vallée Bras-du-Nord.
Le réseau des Sentiers de l’Estrie s’étend de la frontière avec les É-U, près de Sutton, jusqu’au nord, à Richmond, et dans les monts Stoke, près de Sherbrooke. On y trouve des sentiers de divers niveaux de difficulté qui mènent au sommet des monts Sutton, Écho, Singer, Glen, Foster, Chagnon, Orford, Chauve, des Trois-Lacs, Cathédrale, John-Guillemette, Bald et Chapman. D’autres sentiers suivent la vallée glaciaire du ruisseau Gulf, la vallée de la rivière au Saumon et la vallée de la Saint-François.
Cet article est initialement paru dans la revue de printemps 2024
Laissez la flore accompagner vos randonnées printanières et découvrez des entreprises de plein air qui carburent à leur mission sociale.