Jour 1 : c’est un départ
Le 22 juillet, nous nous retrouvons au tout nouveau Centre de service du Parc, doté d’un centre d’interprétation dont la visite mérite un détour. Nous rencontrons les gardes-parc de Kluane afin de finaliser la planification de nos randonnées, jeter un dernier coup d’oeil sur les cartes topo et s’enregistrer. On nous apprend que le sentier Cottonwood (85 km en 5 jours) ne sera pas de tout repos. Le manque d’entretien et le peu de circulation ont fait en sorte que la végétation a envahie certaines portions de ce sentier, rendant l’orientation et la marche plus complexes.
Contre mauvaise fortune bon cœur, nous décidons de prendre les choses comme elles se présentent. Une journée à la fois sur le sentier sera déjà un bon plan. Nous élaborons tout de même un plan B, au cas où tout ne se passe pas comme nous le souhaitons. Notre plan B consiste à combiner une partie de Cottonwood avec l’ascension d’un sommet qui nous attire beaucoup, celui de King’s Throne (2 000 m). Ce plan B se fait aussi en 5 jours et environ 90 km. Cette fois-ci, par contre, avec un bon dénivelé (plus de 2 496 m aller et retour en une journée).
Il est 14 h. Nos sacs à dos bien remplis, nous nous retrouvons au départ du sentier Cottonwood, au lac Kathleen. Il est tard pour démarrer une randonnée de cette ampleur, mais nous savons aussi qu’il fera jour jusqu’à minuit. Une première section de 17 km nous attend jusqu’à notre lieu de camping pour cette première nuit, la rivière Victoria. Au départ, sur une ancienne route minière, nous croisons rapidement la bifurcation qui, à droite mène au long sentier Cottonwood et, à gauche, vers le sommet King’s Throne. Nous prenons à droite où une montée abrupte nous conduit à un premier point de vue sur le lac Kathleen. Dans cette section, la shépherdie du Canada pousse en abondance et constitue une source de nourriture pour les ours. Nous progressons en ouvrant l’oeil et en faisant du bruit de temps en temps afin de signaler notre présence. Nous prenons conscience que nous serons les seuls humains sur ce sentier au cours des prochains jours.
Quelques centaines de mètres plus loin, nous traversons des couloirs d’avalanche avant d’arriver à un glacier (ou ce qu’il en reste). Nous franchissons ce glacier rocheux jalonné de cairns. La vue est sublime sur le lac turquoise à nos pieds et les montagnes environnantes immenses qui s’y reflètent. Après avoir longé le lac sur quelques kilomètres, nous bifurquons vers l’intérieur des terres pour arriver à un premier obstacle à franchir, le ruisseau Goat. Ici dans les parcs, il est important de le dire, il n’y a aucun pont, aucune passerelle; il faut traverser à gué chacune des rivières que l’on rencontre. Nous avons prévu le coup et enfilons nos sandales bien attachées à nos pieds, plaçons nos sacs sur le dos sans les attacher. Comme il n’y a pas de difficultés particulières, nous le traversons sans encombre. Le camping au ruisseau Goat est strictement interdit en raison de la présence très fréquente des ours. Nous continuons.
Nous continuons et traversons une péninsule jusqu’au lac Kathleen que nous retrouvons et longeons de nouveau. Nous sommes à 4 km de notre première destination, le ruisseau Victoria. En chemin sur cette section, nous devons traverser un autre ruisseau. Nous nous approchons d’un autre lac, le lac Louise, situé juste après le lac Kathleen
Arrivés au ruisseau Victoria vers 20 h 30, nous nous installons pour la nuit sur la plage du lac Louise où se jette le ruisseau. Celui-ci est costaud, large et a un débit assez rapide. Comme nous sommes fatigués, nous prenons la sage décision de ne pas le traverser ce soir-là et plutôt attendre le matin.
Après notre souper, nous faisons un peu de lecture, écrivons notre journal. Une fois installé pour la nuit, de voir le soleil encore très fort à travers la toile de la tente…à 22h, y a de quoi être insomniaque.
Ici dans les parcs, il est important de le dire, il n’y a aucun pont, aucune passerelle; il faut traverser à gué chacune des rivières que l’on rencontre.
Jour 2
Le ruisseau Victoria nous apparaît un peu plus franchissable que la veille mais à peine mieux. Fort de notre nuit de sommeil, nous entamons notre traversée sans trop regarder le meilleur endroit pour se faire, sans utiliser la technique de traverse à deux que l’on a pourtant bien apprise. Résultat : J’ai glissé. J’ai évidemment trempé mon matériel.
À force de travail, j’ai fini par traverser le ruisseau, jeté rapidement mon sac sur le sol pour aller aider Nancy qui elle, n’avançait plus, étant à peine capable de garder son équilibre dans ce courant. Rendu tous les deux de l’autre côté, je me suis mis à frissonner. L’eau de fonte des glaciers, c’est froid.
Au bout d’une heure, après avoir mis des vêtements secs, après avoir marché de long en large sur la rive pour me réchauffer, j’ai pu récupérer. Pendant ce temps Nancy faisait sécher le matériel.
Ce n’est qu’à 12 h 30 que nous quittons enfin le site du ruisseau Victoria pour grimper une colline qui domine le lac Louise, que nous longeons sur 10 km. Nous traversons un autre ruisseau, sans nom, avant d’atteindre un secteur du sentier sur environ 2 km, peut-être davantage, où l’on doit évoluer dans une végétation dense. C’est l’un des secteurs où la végétation s’est réapproprié le sentier. Nous nous dirigeons difficilement dans cette brousse.
Vers le milieu du parcours de 18 km, nous croisons les vestiges à peine visibles d’une mine abandonnée où on extrayait de la bornite : un minerai de cuivre violacé qui se trouve en petite veine dans la roche volcanique. En quittant le site de la mine, le sentier traverse une vieille forêt d’épinettes et rejoint un autre ruisseau que l’on franchit sans histoire. Le sentier est toutefois érodé par ce ruisseau, ce qui fait qu’il faut chercher un peu pour le retrouver de l’autre côté.
Nous montons vers une crête qui nous conduit tranquillement vers le pré Cottonwood, qui offre une vue splendide. En s’approchant du pré, nous trouvons un terrain spongieux et boueux, où nous devons passer un autre petit ruisseau. De l’autre côté, nous arrivons au pré, plus sec, où nous passerons notre deuxième nuit. Nous avons parcouru 35 km à ce jour, et cet arrêt nous fera un grand bien, surtout après cette journée forte en émotions.
Après notre repas du soir, nous devons décider de notre itinéraire pour les jours suivants. Nous avons 3 jours devant nous. Ou nous continuons sur ce sentier pour 3 jours encore, ou bien nous retournons pour aller au sommet de King’s Throne pour 3 jours aussi, en comptant le retour. Après une longue discussion sur nos réels intérêts, nous décidons que nous retournerons sur nos pas pendant 2 jours (refaire à rebours les 2 premières étapes) et une journée supplémentaire pour faire ce sommet qui nous attire tant.
Jours 3 à 5 : le sommet King’s Throne
20 km aller-retour, 1 258 m de dénivelé positif
Le sentier King’s Throne se divise en deux sections, une première section rocheuse serpente pour un dénivelé de 548 m sur 5 km, assez pentue par occasion. Cette section de sentier mène au «siège du trône du roi», qui est un cirque montagneux situé au pied de la crête de cette large montagne. Dans le cirque, la neige est permanente. La plupart des gens s’y arrête pour une pause avant de redescendre, en raison du fait que c’est là que le sentier balisé s’arrête. Avec la marche d’approche de 2 km (aller seulement) cette rando est de 14 km aller-retour.
Quant à la seconde section, que l’on emprunte sur la gauche du cirque, elle est beaucoup plus à pic (un dénivelé de 710 m sur 3 km dont 1 km presque qu’à plat au sommet), il n’y a pas de sentier balisé et chacun y va à ses risques. Le descriptif indique qu’il faut une certaine expérience pour faire cette section, y compris des connaissances en carte et boussole. Selon nous, cet avertissement est exagéré, car il est facile de s’orienter sans carte sur ce parcours. Il est vrai toutefois que les gens qui ont peur des hauteurs ou des vertiges peuvent avoir quelques malaises.
En fait, le parcours pour atteindre la crête sommitale consiste en une autre crête, acérée et vertigineuse, souvent glissante en raison de la poussière et de la roche qui, parfois, se dérobe sous nos pieds. À l’occasion, nous devons nous agripper avec les mains. Comme nous sommes très exposés sur cette section, le vent à cette altitude est un autre facteur de risque. Mais, croyez-nous, l’effort et les quelques sensations fortes en valent vraiment la peine, car la vue vers le nord et les nombreux autres sommets du parc est spectaculaire! Une fois sur la crête supérieure, il reste environ 1 km avec peu de dénivelé avant d’atteindre le pic le plus élevé, à près de 2 000 m d’altitude.
Après les quelques photos de circonstance, le retour se fait avec plus de prudence encore que lors de la montée. Nous allons donc très lentement pour éviter une glissade malheureuse et un risque de blessure.
C’est donc après une marche de 7,5 heures pour cette dernière journée de notre première longue sortie au parc de Kluane que nous retrouvons notre campement pour une dernière nuit avant le retour vers Haines Junction… satisfaits.
Armand Comeau
Armand est un adepte de plein air depuis plus de 25 ans. D’abord actif en ski de fond et en vélo de route, c’est en 1997 que la montagne l’attire par l’ascension des sommets québécois. Détenteur d’un baccalauréat en sciences de l’activité physique et d’une maîtrise en administration des affaires, c’est en 2008 qu’il explore davantage des sommets aux États-Unis et ailleurs dans le monde. En 2010, il se rend au Népal pour réaliser un trek de deux semaines dans les Annapurna. En 2011, ce sont les Rocheuses canadiennes puis le sommet du mont Blanc à Chamonix en 2013. Se succèdent les sommets et les longues randonnées : les Rocheuses (en ski), les Alpes pour la randonnée, le GR20 en Corse, le Laugavegur en Islande, le Yukon en arrière-pays, les Chic-Chocs, la Traversée de Charlevoix, le Sentier des Caps, etc. Il guide à quelques reprises dans les montagnes Blanches et suit des formations spécialisées en carte et boussole, premiers soins.