Septembre 2022, Lac Joyel, monts Groulx-Uapishka
Non, nous ne chantions pas le thème de la comédie médicale Pied de poule, écrite par Marc Drouin il y a 40 ans. Nous venions de déclencher un message SOS interactif à l’International Emergency Response Coordination Center (IERCC), afin qu’une équipe d’intervention de cette zone puisse venir nous évacuer, après 36 heures de pluies torrentielles, de grêlons, de neige fondante, le tout poussé par rafales de vents frôlant les 80 km/h.
Le but de ce récit n’est pas de vous présenter les monts Groulx, ni de vous raconter notre aventure au jour le jour. De nombreuses personnes l’ont déjà fait à merveille. Je vais plutôt vous raconter comment nous avons vécu les 36 heures de violents orages et de tempêtes de neige qui nous ont frappés à plus de 1000 m sur les plateaux.
Entre le 13 et le 15 septembre 2022, alors que nous étions confrontés à des conditions extrêmes sur les plateaux des monts Groulx, une bonne partie du Québec était également balayée par de violentes rafales de vents et submergée par près de 60 mm à 75 mm d’accumulation d’eau par endroits, causant des inondations, des dommages et des situations d’urgence.
Le massif et ses plateaux
Le massif des monts Groulx-Uapishka couvre environ 5 000 km². Ce contrefort est situé à plus de 325 km de Baie-Comeau, à l’est du réservoir Manicouagan, par la route 389. Mise à part la station de recherche Uapishka, qui se trouve à la base des plateaux, il n’y a pratiquement aucun signal cellulaire entre Baie-Comeau et Fermont (568 km et 6 h 30 de route).
Son principal attrait vient du fait qu’il est possible d’y traverser son plateau en complète autonomie, avec cartes et boussoles, sur une distance approximative de 45 km. Cette traversée peut se faire entre 3 et 5 jours en moyenne, selon le type de traversée que vous voulez effectuer. Le tout se déroule sur un territoire hostile, non balisé et non organisé. Les aventuriers.ières découvrent les forêts boréale et alpine, la taïga pour finalement se retrouver dans la toundra arctique des sommets. Bien évidemment, avec cette nature vient sa faune exceptionnelle : martre, caribou forestier, loup gris, ours noir, lagopède, tétras du Canada, renard roux, etc.
En d’autres mots, on ne va pas s’initier là. Le danger et les risques sont bien réels. Il faut être un.e randonneur.se aguerri.e et expérimenté.e, en excellente forme physique et savoir que vous pouvez fort possiblement rencontrer les pires conditions météo que vous pouvez imaginer.
Comment en sommes-nous venus à l’impasse?
Mon ami et moi, appelons-le M-A, en étions à notre 4e aventure sur les plateaux. Habituellement, je marche en duo avec cet ami depuis nombreuses années. Cette année, un de ses amis, appelons le K, plus expérimenté que nous en randonnée et en premiers soins en régions isolées, s’est joint à notre duo. Il est habitué aux voyages en autonomie, en solo, en mode ultra-light. Le duo est devenu un trio. Puis, un quatuor, quand le fils de mon ami, appelons-le E-M, s’est joint au groupe, la journée de notre départ. E-M a 20 ans, en grande forme et capacité physique; cependant il vit des moments très difficiles à la suite d’une rupture amoureuse. À la dernière minute, nous avons dû lui trouver de l’équipement et ajuster notre planification, car il n’a aucune expérience en montagne. Nous nous sommes dit, à trois hommes expérimentés, on va l’aider et ça ira.
Ce que nous n’avions pas prévu, c’est comment ceci allait avoir un impact émotif et psychologique sur le groupe. Mon ami M-A était préoccupé par son fils, moi pour eux et K pour nous tous!
Les deux premiers jours, on avale les kilomètres (et des moustiques). Il fait beau, 15 °C, on apprécie. En revanche, nous savions que du mauvais temps arrivait en soirée. Notre ami, K, avec son expérience, nous prévient et nous suggère des trucs pour rester au sec le plus longtemps possible. Nous n’avons toutefois pas vraiment porté attention aux judicieux conseils de K. La pluie débute dès 20 h.
Au réveil, le troisième jour, nous réalisons que la toile protectrice qui couvrait nos quatre sacs à dos avait été déplacée par l’un de nous et ne fut pas bien replacée. Ainsi, la pluie s’est infiltrée dans plusieurs sacs à dos, mouillant en partie leur contenu. Avant de partir, je précise à M-A de mettre la carte dans deux sacs ziploc pour la protéger. C’est sous une pluie abondante, avec le sol gorgé d’eau que nous entamons la journée. La pluie se transforme en grêlons, puis en neige lourde et fondante. Avec de telles conditions, même avec du matériel de haute qualité, on se retrouve mouillés de la tête aux pieds. Les rafales de vents et les bourrasques de neige nous frappent de plein fouet. Vers 14 h, nous décidons de trouver un campement à l’abri des intempéries. Tout le sol reste gorgé d’eau dans la taïga. On installe nos deux tentes, incapable de garder le tout au sec. Une fois à l’intérieur, on enfile nos vêtements techniques (mérinos, alpaga, polar) et on tente d’allumer un feu dans la tente de K, qui possède un minifoyer en titane.
Psychologiquement, nous étions déjà distraits avant de partir et nous n’avons pas passé en revue le matériel de chacun des sacs pour nous assurer que tout y est. Les deux briquets que K avait remis à M-A et son fils ne sont pas dans les sacs. Il nous reste des allumettes imperméables et un briquet. C’est risqué.
Il fait froid, c’est humide, on gèle dès qu’on n’est plus sur notre tapis de sol. Allumer notre feu nous prend deux heures. On doit brûler des morceaux de linge, qui étaient encore secs, afin de pouvoir dégager assez de chaleur pour faire prendre les copeaux de bois. À tour de rôle, un d’entre nous sort chercher des brindilles de bois pour ensuite tenter de les faire un peu sécher près du feu qui ne dégage que très peu de chaleur.
Nous prenons un repas lyophilisé et on discute de la journée de demain. On veut consulter la carte, mais quand M-A la sort de sa poche de manteau, elle est en un seul morceau, mouillée, détrempée et inutilisable. Nous nous rabattons sur le GPS, dont il ne reste que 40 % de batterie après 4 jours. Les gars me demandent de sortir ma batterie auxiliaire, mais je ne l’ai pas. Je l’ai laissée pour diminuer mon poids… Encore une augmentation de la tension.
Voulant faire sécher le dessus de mon tapis de sol autogonflant, je l’ai placé près du petit foyer. Malheur, une forte bourrasque de vent brasse la tente et projette mon tapis de sol sur le foyer. Il fond instantanément. La tension continue de monter, nous commençons à nous pointer du doigt en disant que l’autre n’a pas fait attention. Je devrai dormir sur un tapis qui n’offre plus d’isolation, sur un sol spongieux et imbibé d’eau. Incapables de nous réchauffer, nous nous couchons dans nos sacs de couchage trempés pour tenter de dormir.
Avant de me coucher, encore en furie de ne plus avoir de matelas de sol, je dis à M-A, qui dort dans la tente avec moi, de mettre l’appareil Garmin inReach (communication satellitaire) dans son sac de couchage afin de protéger les batteries du froid.
Je ne dors presque pas de la nuit, le duvet ne réussissant pas à me réchauffer. Dehors, c’est l’hiver. Il neige toujours, il y a des rafales et la visibilité n’est pas bonne. La tempête de neige ne semble pas vouloir ralentir.
Déclarer forfait
K et E-M viennent nous rejoindre dans la tente au lever du jour. Le constat commence à être alarmant. E-M a tremblé toute la nuit. Il était près de l’hypothermie. En consultant le GPS, nous réalisons qu’il reste à peine 25 % de batterie, car M-A ne l’avait pas mis dans son sac de couchage. Dans de telles conditions, on en aurait eu pour minimum deux jours pour sortir des plateaux. Donc, pas assez de batterie, des vêtements détrempés, des sacs de couchage mouillés et des risques d’hypothermie réels. Bref, on est au beau milieu du plateau et nous n’avons plus de moyens pour orienter notre marche. S’aventurer sans rien? Les plateaux font 5 000 km2…
Nous évaluons l’option de déclencher un signal SOS, afin de nous faire évacuer. Sachant qu’il est pratiquement impossible de trouver la sortie des plateaux sans outil d’orientation, nous décidons d’utiliser le restant des batteries pour contacter le IERCC. Nous sommes prêts à assumer tous les frais, car nous sentons que nous n’allons pas réussir à nous en sortir et que l’hypothermie s’empare lentement d’un membre du groupe.
Nous déclenchons le signal. Comme c’est un appareil GPS interactif, immédiatement, le IERCC s’enquiert de l’état des membres du groupe en nous envoyant un message. Nous donnons le plus d’informations possible avant de perdre complètement l’usage du GPS. Nous leur demandons de dire à nos contacts d’urgence que la situation représente de grands risques d’hypothermie, mais que nous avons agi avant d’être trop mal en point. Vers 10 h 20, la Sûreté du Québec nous écrit pour nous informer qu’elle va déployer son équipe d’urgence de sauvetage en hélicoptère. C’est l’euphorie entre nous. Un autre message indique qu’elle pourrait nous rejoindre vers 17 h, si les conditions météo le permettent… À bout de batterie, le GPS s’éteint et la communication est coupée. C’est le silence… et l’angoisse à l’idée de passer une autre nuit dans de telles conditions.
En attendant les secours
Pour garder un peu de chaleur, nous tentons de rester actifs. Vers 17 h 10, nous entendons finalement l’hélico s’approcher. Deux sauveteurs viennent à notre rencontre au pas de course. Ils nous disent de venir tout de suite et de laisser tout notre matériel sur place, car nous allons être trop lourds. Nous suivons leurs ordres et nous nous envolons. Les rafales font valser l’hélico comme une feuille dans un arbre que le vent fait balancer. Après de longues et interminables minutes, l’appareil peut enfin s’extirper du plateau pour finalement atterrir à la station Uapishka, où nous avons pu nous réchauffer auprès du feu, manger et passer la nuit.
Nous voulons remercier l’équipage de recherche et sauvetage de la Sûreté du Québec (SQ) et son chef K2, pour avoir risqué et réussi une mission si périlleuse, afin de venir nous évacuer avant que la situation devienne possiblement mortelle.
Quelques conclusions
Ce que nous savions, mais que nous n’avons pas assez pris en considération :
- L’idéal est de conserver sa planification et de tenter de ne pas y déroger
- Si la disposition mentale et physique n’est pas optimale, cela augmente les risques de faire des erreurs et de se mettre en danger
- Il faut savoir être à l’écoute des autres
- Il est essentiel de prévoir plus d’une carte et une source d’énergie supplémentaire pour son GPS
Ce qui a contribué au succès du sauvetage lorsque nous avons déclenché notre signal d’urgence, c’est d’avoir :
- Établi un campement fixe rapidement
- Réussi à allumer un feu et à maintenir une source de chaleur
- Conservé la même position après avoir lancé le signal de détresse
- Déclenché le signal de détresse tôt en journée, avant que la situation ne se détériore trop
Cet article est initialement paru dans la revue «Randonnées sur les îles du Québec»
Le fleuve Saint-Laurent est un élément clé de nos paysages : son golfe, son estuaire, son fjord… toutes ses particularités sculptent nos régions. Ses îles y sont très nombreuses, certaines protégées et d’autres habitées. Cet été, laissez-vous porter jusqu’à l’île la plus proche de chez vous, dont vous ignorez peut-être même l’existence, qui sait?