Cet article est initialement paru dans la revue de printemps 2021. Cliquez-ici pour vous la procurer.
Mille cinq cent trente-cinq km à travers nos forêts québécoises, c’est ce que mes jambes m’ont permis de marcher cet été! Un projet « plan B », un peu improvisé et entamé sans trop d’attente, qui s’est avéré être ma plus belle longue randonnée à ce jour (assurément pas la dernière!). Redécouvrir notre province à un rythme naturel, à vitesse humaine, m’a permis de ralentir pour mieux avancer. Mais revenons là où cette folle aventure est née.
Plan A: Le rêve Américain
Mars 2020, j’ai les deux pieds en plein sur mon rêve : parcourir en solo les 3500 km de l’Appalachian Trail qui sillonnent les montagnes de la côte est à travers 14 États, de la Géorgie jusqu’au Maine. Trois années de préparation sous la ceinture et les pattes prêtes pour l’aventure, je me suis élancée au kilomètre zéro sur ce sentier mythique en ne me doutant pas de ce qui m’attendait au croisement. Dix jours et 190 km plus loin, un mur cruel se dresse devant moi… rien de moins qu’une pandémie! Ma gorge se serre et je m’écroule sous le poids de mon sac, rempli de vivres et d’équipements soigneusement choisis qui n’attendaient que cette aventure… Mon rêve en prend un grand coup. Le cœur lourd de colère et d’impuissance, je rentre à la maison faire ma quarantaine, plus seule et plus perdue que jamais. Optimiste, je suis déjà à prévoir mon retour sur le sentier tandis que la planète retient son souffle pour un mal qu’elle ne mesure pas encore.
La frontière demeure fermée, l’attente se fait lourde, le printemps s’installe et les espoirs s’émiettent… je tourne donc mon regard vers notre côté de la frontière. Et si je faisais une traversée ici, chez nous?
Un plan B local mais épique!
On a la chance d’avoir ici même, dans notre cour, le Sentier national au Québec. Plus jeune que les sentiers de longue randonnée de nos voisins du sud, il parcourt plus de 1650 km à travers la province, de Gatineau à Cap Gaspé, mais il n’est pas encore entièrement terminé. C’est décidé, c’est sur ce sentier que j’irai marcher! Comme pour une courtepointe, je colle donc bout à bout les cartes des tronçons existants du sentier, me dessinant une aventure sur mesure. J’estime méticuleusement les distances qu’il me faudra marcher le long des routes en identifiant les endroits où un transport sera nécessaire pour me déposer au prochain tronçon. Plus je ramifie les sections décousues, plus je m’emballe à l’idée de cette aventure drôlement plus chaotique et sauvage que l’Appalachian Trail! Ce périple me permettra de sillonner notre province en découvrant cet ambitieux projet de sentier, un trésor bien caché et si généreusement entretenu entièrement par des bénévoles.
Afin de simplifier la logistique, puisque nous sommes déjà en juin quand j’entame cette marche, je choisis de partir de Mont-Tremblant. Cela me permettra d’atteindre, je l’espère, le « Bout du monde » avant les nuits froides de l’automne.
À gauche : la rive nord du Sentier National / À droite : la rive sud
Laurentides et Lanaudière : un nouveau départ
Le 22 juin 2020, en pleine canicule, le sac à dos à nouveau plein à craquer, je me retrouve sur ma nouvelle ligne de départ : le sentier Johannsen, enfin de retour dans la forêt et déterminée à marcher tout l’été. Je dois modérer mes pas : assez rapides pour semer les hordes de moustiques qui veulent me goûter et assez lents pour ne pas « surchauffer le moteur » et épuiser mes réserves d’eau. Et de l’eau, ça ne manque pas par ici ! Je prends de petites pauses à chaque ruisseau afin de faire baisser ma température corporelle et de filtrer un peu d’eau. Je profite de la rosée logée dans les hautes fougères pour me rafraîchir la peau au passage. Les orages de fin de journée sont également une bénédiction pour faire baisser le mercure avant que je ne m’installe dans mon hamac. Au bout de Lanaudière, mes parents m’accueillent pour mon premier ravitaillement, fébriles et soulagés de me voir émerger de cette dense forêt après un tronçon particulièrement ardu et sauvage.
Mauricie et Capitale-Nationale : coups de pouce
Me voilà en Mauricie, où je marche à la rencontre de mes amis qui m’aideront à traverser le Saint-Maurice et à faire le voyage entre le tronçon du Père Jacques-Buteux et le sentier Montauban. Les petits fruits abondent et les fleurs sauvages sont à leur apogée. Je me nourris de tout ce que je peux cueillir en plus du grand nombre de calories que je dois ingérer chaque jour. Après environ 300 km au compteur, mon « appétit du randonneur » commence à s’installer et cela devient vite ma préoccupation numéro un. J’approche déjà de la région de Québec. Le Sentier national s’y interrompt brusquement au bout du sentier des Falaises, dans la vallée du Bras-du-Nord. Une amie de Québec vient m’y cueillir et elle m’hébergera chez elle pendant trois jours, me permettant de découvrir les sentiers de sa région en faisant des randonnées à la journée, en laissant le plus lourd de mon sac chez elle. C’est à Mont-Sainte-Anne qu’elle me déposera pour que je puisse poursuivre mon petit chemin sur le sentier Mestachibo. La plus belle partie de la rive nord m’attend!
Charlevoix: l’appel des sommets
Après quatre jours sur le Sentier des Caps, je me permets une escale à Baie-St-Paul pour fêter mon 500e km et remplir à nouveau mon sac et mon ventre de délices locaux. Je me trouve maintenant au pied des plus belles montagnes de la région. Mes yeux et mes jambes s’en délectent et en veulent plus! Je sors donc du chemin principal à plusieurs reprises pour emprunter les sentiers secondaires qui rejoignent les sommets qui ne sont pas directement sur l’itinéraire de la traversée. Après le tronçon de l’Orignac, qui relie la fin de la traversée de Charlevoix à St-Siméon, j’émerge finalement de la forêt. Le sentier aboutit curieusement dans la cour des maisons du village et se termine à la route 138, rejoignant directement la rampe du traversier qui me permettra d’enjamber le fleuve St-Laurent jusqu’à Rivière-du-Loup. Je me sens un peu comme un animal sauvage tout droit sorti du bois, qui traverse maladroitement la route, avec mes bâtons de randonnée qui claquent sur l’asphalte comme des petits sabots. Une fois à bord, je me retourne pour contempler la rive nord et saluer une dernière fois ses montagnes qui s’éloignent doucement dans la brume… une grande étape vient d’être franchie et les Appalaches m’attendent de l’autre côté…
Gaspésie : la pièce de résistance
C’est à Matapédia, le jour de mon anniversaire qu’une amie me dépose au kilomètre 650 du Sentier International des Appalaches (SIA-QC). Je ne peux pas imaginer plus beau cadeau que toute cette nature sauvage et grandiose qui s’étend devant moi. C’est le dessert du périple! J’ai également la chance de poursuivre l’aventure en duo, avec un ami venu me rejoindre sur le sentier. Ça fait tout drôle de ne plus marcher seule, mais j’apprends vite que l’expérience est profondément enrichie lorsqu’elle est partagée. J’y rencontre également deux femmes extraordinaires, Virginie et Marie-Sophie, nous devenons « les 3 étoiles » et resterons soudées jusqu’à la fin du sentier.
La météo très imprévisible ne vient pas à bout de notre petit clan, allant de 34 degrés en plein soleil sur les chemins forestiers exposés à 2 degrés sous la pluie et les vents violents des rives du golfe Saint-Laurent. La variété de paysages de cette grande section est époustouflante : les rivières à saumon à traverser à gué en se mouillant les souliers usés, les montagnes chauffant les mollets et offrant des points de vue qui font vibrer l’âme, les plages remplissant les narines d’odeurs salines avec des milliers de galets nous roulant sous les pieds… tous mes sens s’aiguisent.
Les bornes affichant les kilomètres donnent le décompte du chemin qui reste à parcourir et mon cœur s’emballe à l’idée que j’arrive bientôt au bout. Le dernier kilomètre traverse une superbe forêt de conifères sur un étroit sentier qui monte et qui descend, à l’image de tous les kilomètres passés sur le Sentier national, comme un petit résumé tout près de la fin. J’émerge finalement du bois, comme une naissance, pour me retrouver exposée au soleil, à la conclusion de cette aventure et à tout ce qui m’attend ensuite. Le phare de Cap Gaspé m’accueille, sous un ciel sans nuage et un soleil aveuglant. Je ne vois plus rien, le chemin parcouru défile à toute vitesse dans ma tête; mon rêve abîmé de l’Appalachian Trail, puis ce plan B qui m’a finalement montré que lorsque j’écoute mon instinct et que je m’ouvre à l’aide de ceux que j’aime, tout devient possible. Quelques pas encore puis je touche à la borne du kilomètre zéro, plantée là dans l’attente des randonneurs victorieux.
Je dépose mon sac puis m’écroule doucement dans l’herbe, pliant enfin mes jambes qui m’ont tout donné et laissant couler des larmes de mille émotions sur le sol de ma destination, au bout du monde…
L’aventure de Catherine Turgy en chiffres
1535km en 2 mois et demi c’est :
- 73 jours de marche + 3 jours de repos
- 420 heures de marche
- Moyenne de 3.6km/h
- 57 182m de montée cumulative
- 6.5 fois l’Everest ou 381 x le Mont-Royal!
Une journée moyenne:
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21km
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5h45 de marche
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783m de montée cumulative
-
Environ 1.5 à 2 lbs de nourriture 2600 calories brûlées
Catherine Turgy
Marcheuse de longue distance, Catherine est capable d’user 3 paires de souliers en un seul été et de manger pour 3 lorsqu’elle vit sur les sentiers. De par sa profession en conception de produits, elle cherche toujours à simplifier et améliorer son équipement et est toujours partante pour partager ses astuces et connaissances. Elle a un radar pour les petits détails que la nature met sur son passage et n’hésite pas à s’arrêter pour observer chaque petit insecte qui croise son chemin. Ses pieds ont foulé les 46 sommets des Adirondacks et parcouru de nombreux chemins dans les Appalaches, à la marche comme à la course, mais c’est le Sentier National au Québec qui occupe la plus grande place dans son cœur de randonneuse.
4 commentaires
Merci 🙏
Et bonne journée ✨
Bonjour,
Tellement déçue d’avoir manqué la conférence de Catherine aujourd’hui …! Un imprévu de dernière minute…
Puis-je la rattraper?
Merci !
Mme Josée Cayouette
Bonsoir Josée,
La conférence de Catherine Turgy est disponible sur notre page Facebook via ce lien : https://www.facebook.com/RandoQC/videos/162280875840604
Bon visionnement!
L’équipe Rando Québec
Bonjour Catherine,
Bonne conférence hier! c’est inspirant et ça donne le goût de faire cette longue randonnée.
Je suis un peu geek d’organisation aussi. Est-ce possible d’avoir ta liste de matériel avec le poids des articles?
Merci
Bon été de rando,
Brigitte