Situés aux confins de l’Estrie, les Sentiers frontaliers sillonnent une partie de la frontière terrestre qui sépare le Canada des États-Unis. Hors du commun, ce parcours de longue randonnée offre aussi des circuits en boucle pour les chasseurs de sentiers sauvages, de dénivelés bien corsés et de points de vue à tout casser.
Texte et photos : Marilynn Guay Racicot
Rares sont les sentiers dans le sud du Québec qui nous offrent autant de panoramas sur une mer de montagnes de plus de 1000 m d’altitude… Pas surprenant que je trouve toujours une bonne raison d’explorer, encore et encore, les Sentiers frontaliers. Cette fois-ci (j’en suis à ma quatrième escapade), c’est l’ouverture d’un tout nouveau tronçon qui me convainc de prendre la Route des Sommets, comme on désigne la route touristique qui mène au terrain de jeu des Sentiers frontaliers, en Estrie. À l’automne 2021, une courte boucle de trois kilomètres a été aménagée afin de permettre aux randonneurs d’accéder au Pic-Frontière, le deuxième sommet le plus élevé de tout le réseau frontalier avec ses 1175 m d’altitude!
Les Sentiers frontaliers sont uniques en leur genre : ils circulent principalement sur la frontière terrestre qui sépare le Maine du Québec. Cette frontière n’existe pas que sur les cartes. En plus d’être marquée de bornes officielles, la ligne qui sépare le Canada des États-Unis est défrichée là où elle traverse les territoires sauvages. En vrai, c’est comme si on avait passé un trait de rasoir de six mètres de largeur dans le couvert forestier. La Commission frontalière internationale est responsable d’entretenir la frontière tous les trois ans.
Les Sentiers frontaliers ont été tracés à même cette trouée forestière, offrant ainsi aux randonneurs un lot de points de vue spectaculaires qui seraient autrement inexistants sur ces sommets boisés. Le randonneur qui s’aventure sur les Sentiers frontaliers marche donc à cheval entre deux nations parmi les ronces et les fougères géantes – bien qu’il soit recommandé de demeurer du côté canadien de la frontière.
À l’assaut du Pic-Frontière
Il existe plusieurs parcours pour découvrir le Pic-Frontière, qui se trouve dans la ZEC Louise-Gosford, à Woburn, en Estrie. Ce territoire est géré par la ZEC, mais les sentiers pédestres sont sous la responsabilité des Sentiers frontaliers. Il est possible de réaliser une grande boucle qui passe par quatre sommets : Gosford, Petit-Gosford, Cap-Frontière et Pic-Frontière. Pour les plus crinqués, ce circuit de 21 km avec un dénivelé total de plus de 2000 m représente un exploit palpitant à réaliser en une journée. En ce qui me concerne, j’ai préféré étirer le plaisir sur deux jours, en ajoutant une nuitée au camping sauvage Petit-Gosford, situé à moins de deux kilomètres du sommet dénudé de Gosford. Ici, le soir venu et par temps clair, les constellations brillantes sont aussi nombreuses que les montagnes à perte de vue.
Contrairement au reste du parcours, le sentier menant au Pic-Frontière est à sens unique. Cette restriction vise à déranger le moins possible la grive de Bicknell, un oiseau à statut vulnérable qui niche dans ce secteur. En arrivant de Cap-Frontière, d’où l’on jouit d’un point de vue sublime sur les Appalaches américaines, il faut bifurquer de la bande frontalière pour attraper le sentier SF10 qui circule principalement sous le couvert forestier. Loin d’être ennuyant, ce court tronçon assez sportif est complètement féerique : on randonne sur un moelleux tapis de mousse d’un vert presque incandescent.
Au sommet du Pic-Frontière, le panorama ne déçoit pas. Comme sur une grande partie des sommets que traversent les Sentiers frontaliers, une borne frontalière trône au beau milieu. On s’exclame à la vue des montagnes qui s’élancent de toutes parts, mais aussi devant la bande frontalière qui court sur la crête et dénude les éminences que l’on partage avec nos voisins du sud. Un tableau vraiment particulier.
Longue randonnée à l’américaine
Si on a la chance de marcher dans cet environnement plutôt unique au Québec, c’est grâce à André Blais, un avide randonneur de la région. Inspiré par les sentiers américains de longue randonnée qu’il a passé sa jeunesse à arpenter avec son père, M. Blais caressait le rêve de développer un tel parcours chez lui, dans le sud du Québec. Inaugurés en 1995, les Sentiers frontaliers longent la frontière sur 81 km et relient les douanes de Chartierville et de Saint-Augustin-de-Woburn, au sud et à l’est du mont Mégantic. À ce parcours linéaire, qu’il est possible de compléter en plus ou moins six jours, se sont greffés des sentiers secondaires qui permettent de réaliser des boucles à la journée. Un tronçon de 25 km connecte également le réseau des Sentiers frontaliers à celui du parc national du Mont-Mégantic, reconnu pour sa réserve internationale de ciel étoilé.
Près de 30 ans après leur création, les Sentiers frontaliers s’étirent sur 140 km en forêt publique et privée. Ces chemins pédestres sont essentiellement développés et entretenus par une toute petite équipe de bénévoles motivés, dévoués et tissés serrés. On s’en doute, l’entretien des sentiers représente un travail colossal pour ce club de randonnée qui vit de contributions de ses membres et qui doit aussi partager son territoire avec différents usagers, dont des chasseurs et des véhicules tout-terrain.
Adopté par sa communauté
En 2022, le conseil d’administration a lancé le programme « Adoptez un tronçon des Sentiers frontaliers ». Cette initiative, qui invite les randonneurs à adopter un bout de sentier pour lequel ils assureront l’entretien léger, a été couronnée de succès. « On espérait la première année avoir 10 tronçons adoptés sur 33. À la fin de l’année, 22 avaient trouvé preneurs », se réjouit Monique Scholz, présidente des Sentiers frontaliers. Cette dernière fonde beaucoup d’espoir dans cette formule d’entretien autonome qui, assure-t-elle, a donné de meilleurs résultats que les corvées de nettoyage à date fixe. Toutefois, l’organisme manque encore d’effectifs pour assurer le suivi des signalements émis par les randonneurs-patrouilleurs. « Ce n’est pas parfait, mais on va y arriver », déclare la présidente bénévole.
« Le rêve d’André et de son père s’enracine sur le territoire. Les Sentiers frontaliers ont acquis une certaine renommée au sein de la communauté des randonneurs », constate avec fierté Mme Scholz. De fait, les Sentiers frontaliers n’ont pas été épargnés par la ruée pandémique. L’achalandage a monté en flèche, surtout dans le secteur du mont Gosford et de la montagne de Marbre, où de belles boucles ont été développées pour attirer davantage de randonneurs d’un jour. En témoigne la végétation bien tassée dans les tronçons frontaliers envahis par les fougères géantes, une icône des Sentiers frontaliers. « On a été épatés au début de la pandémie de voir les fougères écrasées. On voyait vraiment bien où l’on mettait les pieds! » illustre Mme Scholz. Elle rappelle du même souffle que ça n’a pas toujours ainsi dans ce réseau initialement pensé pour la longue randonnée et dont plusieurs tronçons sont encore très peu ratissés par les randonneurs.
Expédition des braves randonneurs
Pour stimuler cet intérêt, les Sentiers frontaliers organisent chaque année depuis 2008 l’expédition des braves randonneurs (aussi appelée EBR). Habituellement tenue au printemps, cette randonnée de six jours en semi-autonomie vise à faire découvrir ce parcours de longue randonnée. Cette expédition d’une dizaine de braves randonneurs est guidée par la présidente et permet d’accéder aux montagnes frontalières de Chartierville, au mont d’Urban (914 m), à la montagne de Marbre (920 m), au mont Saddle (970 m) et au plus haut des sommets en Estrie, le mont Gosford (1193 m).
« L’adjectif brave a été choisi car, à l’époque, le parcours nécessitait encore plus de courage et de vaillance que maintenant », raconte Monique Scholz. Elle fait allusion au sentier moins bien développé qu’aujourd’hui et aux nombreuses montées et descentes très exigeantes… qui le sont encore aujourd’hui. La 17e édition est prévue pour la fin mai 2023. Une seconde expédition, étalée sur trois fins de semaine, sera aussi annoncée pour cet été. Avis aux braves intéressés !
Découvrir les Sentiers frontaliers
Cet article est initialement paru dans la revue «Randonnées sur les îles du Québec»
Le fleuve Saint-Laurent est un élément clé de nos paysages : son golfe, son estuaire, son fjord… toutes ses particularités sculptent nos régions. Ses îles y sont très nombreuses, certaines protégées et d’autres habitées. Cet été, laissez-vous porter jusqu’à l’île la plus proche de chez vous, dont vous ignorez peut-être même l’existence, qui sait?