Texte de Simon Diotte Publié dans l’édition automne 2017 de la revue Rando Québec Photo : Tourisme Mauricie
Réputé territoire de VTT, de motoneige et de pêche, la municipalité de La Tuque, située à 1 h 45 de Trois-Rivières, recèle aussi un trésor méconnu : 150 km de sentiers pédestres, comprenant un parcours de longue randonnée de cap en cap surplombant la rivière Saint-Maurice. Un réseau créé et maintenu par une équipe de bénévoles qui ne compte pas ses heures. Portrait d’une région qui marche.
Éric Pronovost et Pierre Valois, deux techniciens forestiers, sont des amoureux de randonnée pédestre. Plusieurs fois par année dans les années 1990, avec leur club de marche Kilomètre Zéro (KM 0), ils partaient en expédition un peu partout au Québec et aux États-Unis, voyageant même jusqu’en Europe. « Puis, un jour, en revenant sur la route 155 – qui relie Trois-Rivières au Lac-Saint-Jean en passant par La Tuque –, on a regardé les magnifiques falaises qui surplombent la Saint-Maurice et on s’est dit : “Pourquoi on ne randonnerait pas chez nous?” », se souvient Éric Provonost, président de KM 0 pendant des années.
C’est la bougie d’allumage dont avait besoin Kilomètre Zéro pour se métamorphoser, au milieu des années 1990, de club de marche à bâtisseur et gestionnaire de sentiers. Éric Provonost et son groupe se lancent alors dans un ambitieux projet : aménager un sentier de longue randonnée sur la rive ouest de la rivière Saint-Maurice, un territoire sauvage au relief accidenté possédant peu d’accès routiers. « Pour travailler sur ce sentier, il fallait traverser la rivière en canot, à partir de la rive est où passe la route 155 », raconte Pierre Valois, autre tête forte de KM 0 à l’époque.
Pendant que des gens de terrain canotent et font le repérage des lieux, sécateurs, cartes et GPS en mains, d’autres remplissent des formulaires d’aide financière. Une formule gagnante, car KM 0 va chercher 150 000 $ –selon les estimations d’Éric Pronovost – en subventions au fil du temps, surtout en provenance du Programme de mise en valeur du milieu forestier du ministère des Ressources naturelles du Québec. Cet argent servira à l’embauche de travailleurs pour débroussailler les pistes et construire quatre plateformes de camping.
À la fiin des années 1990, le Sentier Haute-Mauricie, reliant La Tuque à Rivière-aux-Rats, long d’une quarantaine de kilomètres et exigeant trois à cinq jours de randonnée, est inauguré. Quelques années plus tard, KM 0 obtient des subventions pour construire le refuge du Lac-en-Cœur et aménager le sentier Petite-Rivière-Bostonnais de 11 km, celui-ci sur la rive est de la rivière. Éloignée des grands centres, La Tuque, paradis de pêche et de sports motorisés, devient ainsi une destination de randonnée pédestre. Quinze ans plus tard, Pierre Valois et Éric Provonost ne sont pas peu fiers du travail accompli. « Le sentier est encore ouvert et un projet de parc régional pourrait voir le jour dans le secteur », se réjouit Pierre Valois.
Tandis que les deux comparses quittent La Tuque pour Trois-Rivières pour des raisons professionnelles, Claude Philibert prend la relève. Ce technicien à l’usine locale de pâtes et papiers devient président de KM 0 et fonde avec deux amis le Club des Trois Raquettes (C3R), qui se lance dans un vaste programme d’aménagement de sentiers sur la montagne de ski, en plein cœur de La Tuque.
En quelques années, c’est 80 km de sentiers qui voient le jour, ainsi que deux relais et une gloriette vitrée sur le cap Pointu, sans compter les 15 km de sentiers au Club de golf. Le tout est tracé, débroussaillé et entretenu presque uniquement par des bénévoles. « Grâce à ces pistes, ouvertes à l’année et beaucoup plus accessibles que le Sentier Haute-Mauricie, on a réussi à rendre l’hiver agréable à beaucoup de Latuquois », dit fièrement Claude Philibert, un citoyen hyperactif aujourd’hui à la retraite, mais toujours propriétaire d’une école de karaté. Les sentiers sur la montagne traversent divers peuplements forestiers, mènent à des lacs sauvages et se distinguent par leur étroitesse. « On ne coupe jamais d’arbres, afin de bloquer le passage aux VTT », dit Claude Philibert. En plus, ces pistes sont très sécuritaires, car elles sont englobées par la ville et la voie de contournement de la route 155. « Impossible de s’y perdre », affirme la ceinture noire.
La survie des sentiers, on la doit à une grande équipe de bénévoles ayant à cœur de diversifier les attraits de la ville. « À l’annonce de chaque corvée, ça répond en masse », affirme Claude Philibert. Tout le contraire de plusieurs réseaux, qui peinent à trouver de l’aide pour mener des tâches d’entretien. Quelle est la recette du succès de La Tuque? « Dans notre ville isolée, le sentiment d’appartenance est fort », explique Guy Sylvestre, technicien forestier à la retraite et aussi bénévole.
Claude Philibert explique également le fort taux de participation à ses corvées par la minutie avec laquelle il les organise. « Je peux prendre une semaine de travail pour organiser une corvée. Tout est planifié au quart de tour, car les bénévoles ne veulent pas se tourner les pouces. Ils veulent faire la différence », dit-il. Il y a aussi des gens qui ne comptent pas leurs heures, comme Roger Bolduc, qui préfère travailler en forêt, sécateur et scie en mains, plutôt que de simplement se balader. « Ma récompense, c’est de voir nos sentiers fortement fréquentés », dit le vice-président du C3R.
Bien que les Latuquois ne fassent pas tous du bénévolat, leur appui se ressent aussi au plan de l’adhésion. Le C3R a vendu l’an dernier 850 cartes de membres au coût de 5 $. « Même pour nous, c’est étonnant, car on ne fait pas la police sur nos sentiers. Ça prouve que les gens tiennent au réseau », dit Claude Philibert. Cet argent permet de payer des dépenses, comme l’entretien des scies à chaîne. N’empêche, la mobilisation a ses limites. Recruter des bénévoles pour les secteurs isolés du Sentier Haute-Mauricie devient ardu. « En 2016, on a manqué de ressources pour inspecter l’entièreté du sentier. On a donc officiellement fermé les portions non patrouillées », explique Claude Philibert. Ce dernier affirme qu’il priorisera ce sentier en 2017, afin de procéder à sa réouverture complète. Puisque l’entretien du Sentier Haute-Mauricie est une grosse responsabilité, le C3R espère que la création possible du Parc régional des Trois Soeurs, en développement depuis 10 ans, leur facilitera la tâche. « Ce parc vise à mettre en valeur le secteur le plus spectaculaire du Sentier Haute-Mauricie, où de hautes falaises plongeant dans la rivière rappellent les paysages du fjord du Saguenay », dit Claude Philibert.
Le futur parc de 40 km2 pourrait rendre la rive ouest de la Saint-Maurice beaucoup plus accessible. « Le gestionnaire pourrait, entre autres, s’occuper des portions de sentiers sur son territoire », espère Pierre Valois. Incapable de mener à terme le projet, la Ville de La Tuque a récemment proposé à la Sépaq de prendre en charge l’implantation et la gestion de ce territoire. La société d’État a cependant rejeté l’offre à la fin de décembre, mais propose son expertise à la Corporation de développement du parc pour analyser son plan d’affaires.
Les sentiers souffrent aussi d’un manque de notoriété. Si, pour les Latuquois, les sentiers du C3R et KM 0 sont bien connus, il en va autrement à l’extérieur du Haut-Saint-Maurice. Les deux clubs de randonnée, qui ne sont pas fusionnés, ne possèdent pas de sites Web ni de pages Facebook pour faire la promotion de leurs aménagements. « On ne compte pas, dans notre équipe, un expert en communication », admet Claude Philibert. Seul Tourisme Haute-Mauricie fait de la promotion, à travers son site Web et son bureau d’accueil touristique, à l’entrée de la ville.
Malgré tout, le bilan est plus que positif. La Tuque diversifie son économie en augmentant son potentiel touristique, tout en incitant les gens à jouer dehors. La Tuque, Mecque de rando, qui l’aurait cru il y a une vingtaine d’années? À vous maintenant de marcher dans le Haut-Saint-Maurice!
Les sentiers de Kilomètre Zéro et du Club des Trois Raquettes
Sentier Haute-Mauricie : 41 km
Sentier Petite-Rivière-Bostonnais : 11 km
Sentiers sur la montagne de ski : 80 km approximativement
Sentier Club de golf : 15 km
Total : 147 km