Texte : Mariama Diallo
Photos : Dominique Caron
Le corps humain est une formidable machine, mais il peut vite se retrouver en difficulté face à l’hiver québécois. La pratique d’une activité physique en plein air devient dès lors plus risquée. Mais on peut aussi en tirer des bienfaits pour la santé.
Faire de la randonnée l’hiver, ce n’est pas une mince affaire. Entre le froid, la neige, et la foule d’équipements, le corps est soumis à rude épreuve. Les adeptes de la marche sont d’ailleurs nombreux à préférer la saison estivale.
C’est le cas de Laurent Désourdy, 31 ans. Il pratique la randonnée pédestre depuis 6 ans. Ce passionné de plein air a parcouru des sentiers américains par -20 °C, mais il préfère marcher l’été. « Je fais de moins longues distances l’hiver, explique-t-il, à cause des vêtements et de tout l’équipement. Ça demande beaucoup plus de préparation. » Ses pauses sont aussi limitées quand il fait froid : « Même si j’ai faim ou je suis fatigué, je m’arrête juste quelques minutes, sinon j’ai trop froid. » Laurent ne part d’ailleurs jamais seul ou plus d’une journée l’hiver.
Même chose pour la « randonneuse du dimanche » Harmony Le Reste. Cette photographe de 26 ans « se sent plus légère » en été. Les randonnées hivernales lui demandent plus de préparation, et son équipement est peu adapté aux basses températures. La pratique d’une activité physique dans le froid présente pourtant plusieurs avantages pour la santé.
Déjà, cela nous pousse à passer quelques heures à l’extérieur, ce qui combat les carences en vitamine D — près de la moitié des Canadiens en manquent pendant l’hiver! La peau, soumise aux rayons ultraviolets du soleil, va produire cette vitamine essentielle à la santé des os et des dents. Et ça améliore aussi l’humeur! Certaines études recommandent au moins quelques heures d’exposition par semaine en hiver. Mais comme le soleil favorise les cancers de la peau, ne vous laissez pas trop rougir non plus.
Et puis, en basse température, la chaleur générée par un effort physique s’accumule moins dans le corps. « On arrive bien mieux à évacuer le surplus de chaleur dans un environnement froid qu’à 40 °C », explique le médecin endocrinologue André Carpentier, professeur et chercheur à l’Université de Sherbrooke. On peut donc fournir un effort plus soutenu l’hiver, car la suraccumulation de chaleur corporelle limite l’endurance en été. Le professeur précise toutefois que « la force musculaire et la performance physique ne s’améliorent pas » en hiver. C’est plutôt la meilleure régulation de la température qui permet de tenir plus longtemps.
On peut donc fournir un effort plus soutenu l’hiver, car la suraccumulation de chaleur corporelle limite l’endurance en été. Le professeur précise toutefois que « la force musculaire et la performance physique ne s’améliorent pas » en hiver. C’est plutôt la meilleure régulation de la température qui permet de tenir plus longtemps.
S’ADAPTER AU FROID
Quand on grelotte parce qu’on a froid l’hiver, ce sont en fait nos muscles qui se contractent involontairement pour produire de la chaleur. Ce phénomène conserve la température corporelle autour de 37 °C, mais c’est désagréable et ça limite les mouvements. Il y a pourtant un autre moyen de se garder au chaud : puiser dans son gras brun. « Ce tissu adipeux brun, explique le professeur Carpentier, va brûler le gras de ses propres cellules pour procurer de l’énergie au corps sous forme de chaleur. » La température est alors régulée sans frissonner.
Le problème, c’est que le corps privilégie le frissonnement quand il a froid. Mais plus on s’expose à de basses températures, plus les tissus adipeux bruns sont sollicités, d’où l’avantage de pratiquer des activités dehors en hiver. On est ainsi capable de « s’affranchir de la réponse aux frissons », selon André Carpentier, ce qui améliore l’adaptation à un climat froid.
C’est pourquoi les populations nordiques ont plus de tissus adipeux bruns que celles qui vivent plus au chaud, à la condition qu’on ressente un froid à la limite du frisson, insiste M. Carpentier, car « c’est à ce moment-là que la graisse brune s’active ». Mais comme on a tendance à se garder au chaud l’hiver, le gras brun est en déclin chez les individus. « On devrait moins se couvrir pour conserver un patrimoine de graisse brune plus important, surtout en début de saison », d’après le chercheur. Il met toutefois en garde contre l’excès de zèle : « Le but, ce n’est pas de se retrouver gelé dehors. »
BRÛLER DES CALORIES
Même sans exercice physique, s’exposer au froid suffit pour activer le gras brun. Cette graisse brûle pour nous chauffer, alors, en théorie, ça peut favoriser la perte de poids. Des études ont d’ailleurs démontré que les personnes ayant plus de tissus adipeux bruns ont tendance à être plus sveltes. Elles auraient aussi de plus faibles taux de sucre et de gras dans le sang.
Et si on ajoute à cela une activité physique comme la randonnée pédestre, on devrait s’attendre à une perte de gras plus importante l’hiver que l’été. Mais là encore, ça ne marche que si on a réellement froid. « Avec l’activité physique, les randonneurs finissent par avoir chaud, souligne Alain Carpentier, alors ça risque peu d’influer sur leur gras brun. » L’habillement doit donc permettre d’évacuer suffisamment de chaleur pour ressentir le froid. Une option comme le multicouche est intéressante puisqu’on peut enlever des vêtements si on a chaud, et vice-versa.
Les connaissances sur les tissus adipeux bruns sont néanmoins limitées. On ignore encore dans quelles proportions le corps utilise le gras brun pour réguler sa température. L’impact sur le poids pourrait donc s’avérer négligeable, surtout si on s’expose peu ou pas régulièrement au froid. En bref, il ne faut pas non plus s’attendre à fondre comme neige au soleil parce qu’on a du gras brun.
Mais ce qui est certain avec les activités hivernales, c’est qu’elles nous maintiennent actifs dans une période de l’année où on se relâche. « On a tendance à moins bouger l’hiver, surtout les personnes âgées », observe le kinésiologue Martin Brochu. Ce professeur en sciences de l’activité physique à l’Université de Sherbrooke estime que des sports comme la raquette ou la randonnée pédestre « gardent actif et aident à apprivoiser l’hiver ». Pour autant qu’on le fasse dans des conditions optimales, insiste-t-il, c’est-à-dire équipé de façon adéquate pour éviter de se blesser ou de geler.
SE CONFRONTER AU DANGER
Rester actif l’hiver a son lot d’avantages, mais on aurait tort d’en sous-estimer les dangers. Il y a les risques bien connus d’hypothermie et d’engelure, inhérents à une exposition prolongée au froid avec ou sans exercice physique. Et quand la neige et le verglas s’invitent à la fête, on peut facilement se retrouver « les quatre fers en l’air ». L’activité physique ajoute une tension supplémentaire sur le corps, notamment dans la circulation sanguine. En effet, les vaisseaux sanguins rétrécissent pour limiter la perte de chaleur. Ce phénomène augmente la pression artérielle et le rythme du cœur, ce qui peut provoquer des crises cardiaques chez les personnes à risque.
Le docteur André Carpentier déconseille d’ailleurs aux aînés, et à tout individu ayant un trouble cardiaque ou respiratoire, de marcher longtemps dans un froid trop vif : « Si on est asthmatique, par exemple, ça devient vite désagréable, voire dangereux. » Selon lui, les personnes à risque doivent privilégier la conservation de leur chaleur corporelle, au lieu de tenter d’augmenter leur résistance au froid.
Malgré les contraintes du froid, une chose est sûre pour Laurent : il retourne marcher dehors cet hiver. Il devra prendre une deuxième paire de mitaines parce qu’il a tout le temps froid aux mains. Mais ce qui compte pour lui « c’est le défi » et la « vue incomparable », entre la neige folle et le ciel bleu.