Depuis quelques décennies, Julie et moi (Simon) sommes passés d’alpinistes et montagnards à randonneurs de longues distances. Nous avons parcouru plusieurs Grandes Randonnées européennes (GR), de nombreux longs sentiers en Amérique du Nord, et même exploré l’Himalaya et les montagnes bleues en Australie. En 2021, à mi-parcours sur le sentier transcanadien, la pandémie retarde la conclusion de ce projet et nous offre un moment de réflexion. À nos âges (Julie, 59 et Simon, 62), le nombre de projets est compté! Nous choisissons d’entreprendre un sentier sur notre liste d’objectifs ; le Great Divide Trail (GDT) dans l’Ouest canadien. Ce sentier présente un défi mental et physique de taille. La poursuite du sentier transcanadien est donc reportée en 2023 au profit du GDT.
Julie et Simon
Pratiquement inconnu et inexploré par la majorité des trekkeurs, le GDT est considéré comme l’un des sentiers les plus difficiles au monde! Il longe la ligne de partage des eaux et la frontière entre l’Alberta et la Colombie-Britannique, en traversant les Rocheuses à partir du parc national des Lacs-Waterton jusqu’au parc provincial Kakwa. À la suite des avalanches et des inondations causant des dommages majeurs au sentier, notre périple de 900 km a pris fin à Jasper.
Le tracé du Great Divide Trail
Les nombreuses difficultés que présente le sentier s’expliquent de plusieurs façons; la logistique de préparation et d’exécution complexe due au fait que le sentier traverse des zones administratives différentes, dont plusieurs parcs nationaux, provinciaux, ainsi que des zones naturelles provinciales; plusieurs passages non aménagés rendent l’orientation difficile, la végétation envahissante, les débris d’avalanche, l’absence de balisage, peu de ponts pour faciliter la traversée des rivières, etc.; les rencontres d’animaux sauvages, notamment les ours grizzlys et les orignaux et, finalement, le climat… Ce qui nous oblige parfois à faire face à quatre saisons en une seule journée.
L’organisation de notre expédition prévue à l’été 2022 débute en décembre 2021, alors que nous traçons un premier itinéraire. De janvier à avril, il faut nous procurer les différents permis nécessaires : camping, droits d’accès aux parcs et aux zones protégées. Selon les réservations obtenues, des ajustements doivent se faire avant de finaliser notre itinéraire. Il s’agit d’une marche de 37 jours intercalée par une journée de repos aux huit jours. Nous nous attardons sur trois volets de préparatifs : un programme d’entraînement physique rigoureux, une préparation de nourriture (cuisiner, sécher, sceller) et un choix d’équipement léger et résistant.
Les caches de nourriture sont placées stratégiquement le long du sentier et la voiture est entreposée à Jasper… et voilà, le sac au dos, le cœur heureux, nous partons à l’aventure! La première section de 150 km du GDT traverse le parc national des Lacs-Waterton, ainsi que deux parcs provinciaux. Nous sommes à la fois excités et anxieux. Les premiers jours sont difficiles, il faut s’acclimater.
Après quatre jours de températures idéales, accompagnés de points de vue superbes, le doute s’installe face à nos capacités à affronter des dénivelés de 1200 et 1300 m sur des distances de 25 à 30 km par jour. En général, nos journées se terminent en début de soirée, après plus de 12 heures de marche.
Un site de camping parfait – Lac Michelle
Notre itinéraire est-il mal planifié?
La cinquième journée de 30 km comporte une montée technique de deux sommets (les monts La Coulotte et Sunkist). Cette journée de 13 heures de marche intense devient un point déterminant!
On rencontre trois trekkeurs du GDT (James, Chris, et Andy). Malheureusement, Andy ne finira pas la piste; c’est un refrain fréquemment entendu sur ce sentier! On croise, sans incident fâcheux, quelques ours noirs et deux grizzlys. Nous gardons toujours, à portée de main, un répulsif contre les ours. Quoique épuisante, cette première section nous donne confiance.
Nous vivons des moments d’extase; Julie regardant la vallée Jonas
Après une journée complète de repos, on se lance à la conquête de la deuxième section du GDT de 200 km. Nous passons plus de trois jours seuls, sauf pour nos rencontres avec les ours, les orignaux et les pikas. Le sentier se situe en pleine zone de grizzlys, ce qui nous oblige à crier ou chanter tout en marchant, pour les avertir de notre présence. On surprend une ourse et son ourson… la femelle se dirige vers la droite tandis que l’ourson quitte vers la gauche – quel cauchemar! Après une fausse charge, celle-ci décide de reculer, libérant le passage. Nous reprenons le sentier avec beaucoup d’appréhension, en parlant aussi calmement que possible; Julie, avec son répulsif à ours à la main.
Notre entraînement porte fruit en nous approchant de Fording Pass. Julie se retourne vers moi pour me dire : « l’affaire est dans le sac! », mais il nous reste encore 650 km! Les trois derniers jours de cette deuxième section sont laborieux. Le GDT est à la hauteur de sa réputation, celle d’offrir de nombreuses descentes techniques et des traversées de torrents sans ponts. L’avant-dernier jour de cette section, Julie se réveille avec une douleur à la cheville. Elle peut à peine marcher! J’allège son sac à dos et avec courage et détermination, elle marche les 30 km en deux jours vers notre prochain point de ravitaillement. Il faut maintenant sortir du sentier.
Nous nous rendons à Canmore en Alberta pour entendre le verdict du physiothérapeute : « Julie s’est disloqué la cheville. » La récupération est envisageable; toutefois, il faudra compter de six à dix jours de repos. Pourra-t-elle reprendre le parcours GDT? Julie, toujours optimiste, planifie les jours qui suivront. Un séjour est organisé chez une amie.
Pendant sa récupération, j’entreprends quelques sections du GDT en mode rapide, portant un sac à dos allégé. Je complète une partie des troisième et quatrième sections croisant les parcs nationaux de Banff, de Kootenay et de Yoho. Ma compagne me manque énormément pour partager la vue des paysages qui sont toujours à couper le souffle. Julie récupère rapidement et après sept jours, elle me rejoint pour compléter trois jours de marche, pendant lesquels le niveau de difficulté augmente progressivement… Hourra, sa cheville passe le test. Julie est confiante. On commence donc la cinquième et dernière section : 12 jours et plus de 200 km.
Malgré les obstacles, les cinq jours suivants nous offrent de magnifiques vues. L’expérience des Rocheuses se qualifie parmi les plus beaux sites de randonnées au monde : les pics sont recouverts de glaciers, des troupeaux de chèvres de montagne se faufilent le long d’étonnantes vallées alpines. Nos efforts extrêmes sont récompensés par des moments qui font vibrer les émotions et qui touchent l’âme.
Il ne reste que deux jours avant d’atteindre Jasper. Chemin faisant, on fait face à une femelle orignal et son veau… on ne bouge pas – impasse! On lui parle amicalement tout en se protégeant derrière quelques arbres. Elle nous regarde calmement. Après ce qui nous semble être une éternité, elle décide de trotter à quelques mètres de nous, son veau à ses trousses. J’en ai encore des frissons à voir sa tête haute de plus de trois mètres. Les orignaux sont de superbes bêtes, mais ils sont imprévisibles. Encore une fois, la chance nous sourit!
Le dernier stage du GDT ne nous épargne rien; une traversée de la rivière Clive
On croise des trekkeurs du GDT en fin de piste, dont Skylar, un jeune américain qui abandonne son périple plus tôt que prévu en raison d’une entorse à la cheville. Erin, elle, trébuche et se fracture la jambe. Nous lui portons secours, mais elle devra sortir avec l’aide d’un garde forestier. Plusieurs autres rencontres se transforment en amitié. Qui sait, on partagera peut-être un jour d’autres sentiers en leur compagnie!
Notre GDT prend fin. Nous sommes épuisés, mais surtout fiers de notre accomplissement. C’est, sans contredit, le plus difficile de tous les grands sentiers que nous avons entrepris. Le GDT est une perle canadienne. On le recommande à ceux qui ont beaucoup d’expérience en orientation, en camping extrême, et qui possèdent une bonne forme physique. Pour vous donner une idée, environ une quarantaine de personnes ont complété le GDT à l’été 2022.
Pour de l’information additionnelle sur le GDT, les préparatifs en général et sur plusieurs autres aventures, visitez le jusiadventures.ca (en anglais).
Cet article est initialement paru dans la revue « Randonnées au cœur du patrimoine »
Dans cette revue de printemps 2023, le patrimoine est à l’honneur. Nombreuses sont les infrastructures ou les panneaux d’information qui permettent de découvrir des facettes méconnues de lieux de randonnée. Prenez le temps de vous attarder à ce patrimoine et les histoires qui les entourent le temps d’une sortie en plein air.
1 commentaire
Wow!
Bravo!
C’est merveilleux de voir que ce n’est pas juste les “jeunes” comme on dit qui font des projets de randos d’envergures!
De voir que même plus vieux, on peut ‘entreprendre de telles distances sur des terrains très accidentés bourrés de défis.
S’agit de se donner les outils pour rester en forme le plus longtemps possible et de profiter au maximum.
C’est très inspirant.