Cet article est initialement paru dans la revue de printemps 2021. Cliquez-ici pour vous la procurer.
Par Anne Pélouas
Les femmes sont, dans bien des activités de plein air, comme la randonnée, le vélo, le canot ou la planche à pagaie, au moins aussi nombreuses que les hommes. Par contre, la pratique de certains autres sports, comme le vélo de montagne, le ski hors-piste ou les sports en eau vive, révèle encore un décalage. Dans l’optique de la Journée internationale des droits des femmes , force est de constater que le milieu professionnel du plein air a encore du chemin à faire pour intégrer les femmes à la juste valeur de leurs compétences, notamment comme guides et leaders d’entreprises ou d’organismes. Au Québec, cette situation de sous-représentation s’améliore plus rapidement que dans d’autres pays, mais nous sommes loin de la parité.
Les recherches fournissent relativement peu de données sur la place des femmes dans le secteur du plein air. Une étude publiée en 2017 par la Chaire de tourisme ESG UQAM, révélait que le vélo de route et la randonnée arrivaient en tête des activités les plus prisées des répondants, soit 42 % de femmes et 36 % d’hommes pour la randonnée, contre 39 % de femmes et 42 % d’hommes pour le vélo de route. La parité n’était atteinte que pour le canot, tandis que plus de femmes souhaitaient s’initier à la planche à pagaie et au ski de fond, les hommes privilégiant le vélo de montagne.
« Dans les dernières années, note tout de même Joanie Beaumont, qui prépare une maîtrise à l’UQAM sur “Les femmes leaders en plein air au Québec ”, on a connu une belle effervescence dans l’accessibilité à la pratique du plein air par les femmes, même si certaines activités, comme l’escalade, demeurent encore davantage masculines ».
Des obstacles à surmonter
Dans l’industrie du plein air, la sous-représentation des femmes est particulièrement flagrante. Parmi les « leaders » du secteur (guides, formateurs, enseignants, personnes occupant des postes de direction ou siégeant au C. A. d’entreprises ou d’organismes), la situation s’améliore, mais « c’est loin d’être la parité », résume Joanie Beaumont. À l’Association canadienne des guides de montagne, on compterait seulement 10 % de femmes. En 2018, Emploi Québec estimait pour sa part à 18 % le pourcentage de « guides d’activités récréatives et sportives de plein air » féminines.
L’engouement des femmes pour le plein air au cours des dix dernières années a son corollaire dans les métiers du secteur, constate Renée-Claude Bastien, guide et enseignante en tourisme d’aventure. Les stéréotypes de genre y perdurent cependant. « Certains programmes de formation tendent à les renforcer, et les compétences des femmes leaders sont encore souvent remises en question », affirme Joanie Beaumont. L’accès aux postes de décision se heurte aussi au fameux « plafond de verre » qu’elles ont du mal à briser! Enfin, la maternité a un impact certain sur la carrière d’une femme, notamment comme guide en tourisme d’aventure.
Femmes invisibles?
En 2018, un collectif de près de 80 chercheuses du monde entier publiait un premier ouvrage d’importance sur le thème des femmes en plein air. The Palgrave International Handbook Of Women And Outdoor Learning révélait, à partir de témoignages et d’analyses fouillées, que de nombreuses femmes entrées dans le milieu avec enthousiasme depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui se sentaient « invisibles, marginalisées et sous-évaluées », y compris dans des rôles de leaders en plein air.
Femmes aux commandes
On voit tout de même de plus en plus de femmes à des postes élevés dans des entreprises de plein air, constatent de concert Renée-Claude Bastien et Pierre Gaudreault, directeur général d’Aventure Écotourisme Québec (AEQ). Elles œuvrent dans tous les domaines (rafting, fatbike, traîneau à chiens, ski hors-piste), ainsi qu’au sein de la Sépaq et dans les parcs régionaux. Au conseil d’administration de l’AEQ, « on avait du mal autrefois à avoir des femmes, constate Pierre Gaudreault. Maintenant, on va dans la bonne direction, avec trois administratrices sur les neuf postes comblés. À compétences égales, on va choisir une femme ». Le passé récent est, selon lui, garant de l’avenir du leadership des femmes en plein air. Et de citer Renée-Claude Bastien, membre de son C. A., Isabelle Roy, fondatrice de l’Association des parcs régionaux, et Nicole Robert, du parc régional de la Batiscan, toutes deux très impliquées dans leur milieu.
En formation, l’évolution dépend des activités. « Les formatrices sont très fortes en canot, précise Renée-Claude Bastien. On a des spécialistes en sécurité des avalanches et même la parité chez Sirius Medx pour les premiers soins en régions éloignées. […] Là où ça coince, c’est dans la profession de guide en tourisme d’aventure où, note-t-elle, il y a nettement moins de femmes, surtout quand elles pensent à avoir une famille ». Leur apport dans une équipe de guides est pourtant, selon elle, un bon « facteur d’équilibre dans l’encadrement d’un groupe ».
Celles qui veulent tirer leur épingle du jeu comme guides ou cheffes d’entreprises doivent miser sur leurs forces et leur persévérance, estime Claudine Roy. « Les femmes qui veulent faire leur place doivent la prendre. Pour réussir, il faut rêver, rêver, rêver, se retrousser les manches, être déterminée, avoir un esprit d’entrepreneuriat, du leadership et un bon plan d’affaires ». Celle qui tient depuis 18 ans la barre des Traversées de la Gaspésie, versions hivernale et automnale, en plus d’être une femme d’affaires renommée, sait de quoi elle parle. « J’ai une bonne moyenne au bâton » (sic), s’amuse cette sportive accomplie, propriétaire de l’Auberge sous les arbres à Gaspé et administratrice de divers C. A. (Investissement Québec, ITHQ…), en plus d’être présidente de l’association Restauration Québec.
Sa devise « À l’impossible, nous sommes tenues! » lui donne l’énergie de diriger ces Traversées de la Gaspésie (TDLG) qui accueillent une centaine de randonneurs (dont 75 % de femmes), skieurs ou raquetteurs (à parité hommes-femmes), avec une troupe de choc d’employés et de bénévoles. « Sans l’apport des femmes, y compris aux postes de direction, l’événement aurait eu du mal à vivre, avoue-t-elle. En 18 ans, c’est la première fois qu’on a UN homme à la direction »!

Modèles et mentors
Les femmes influentes dans le secteur du plein air font plus que faire entendre leur voix. Certaines, souligne Renée-Claude Bastien, se démarquent par leur pratique sportive, comme Nathalie Fortin en escalade de glace ou l’ultra-marathonienne Caroline Côté, et en deviennent de véritables ambassadrices. « Celles qui ne se sont pas laissé marcher sur les pieds pour arriver à ce qu’elles voulaient, ajoute Joanie Beaumont, ouvrent la voie aux autres, comme modèles ou mentors », en favorisant l’intégration des femmes à titre de leaders en plein air. « Avoir un mentor permet d’être épaulée et d’éviter de faire des gaffes quand tu pars en affaires » (sic), note pour sa part Claudine Roy.
Des initiatives plein air 100 % féminines
Facteur d’évolution aussi, « l’émergence de communautés de pratique féminines contribue largement au boom des femmes en plein air », estime Joanie Beaumont, citant en exemple Les Poules qui roulent, Les Chèvres de montagne, Les Vieilles PO, Pink Water… (voir encadré ci-dessous) « Il y a un réel engouement au Québec pour ce type de rassemblement de femmes », constate aussi Renée-Claude Bastien. Ces groupes d’appartenance sont l’un des meilleurs moyens de contrer la sous-représentation des femmes dans les métiers du plein air, notamment parce que l’acquisition de compétences dans différentes pratiques sportives, avec des modèles féminins comme guides, peut susciter de nouvelles vocations!
Pleins feux sur onze groupes « féminins » de plein air au Québec
Ski hors-piste et vélo de montagne en particulier semblent susciter l’engouement des groupes de femmes en plein air, mais ce n’est pas tout!
- Créé il y a six ans, l’association Les Chèvres de montagne attire quelque 600 participantes à des activités aussi variées que le ski hors-piste (y compris à la frontale), l’escalade de glace, le vélo de montagne, la raquette, la voile… « Notre but est de démocratiser le plein air, d’ouvrir la porte sur des activités nouvelles pour qu’elles progressent en apprenant à leur rythme », souligne Émilie Richard, co-fondatrice du groupe. « L’idée est de sortir de sa zone de confort et de développer sa confiance et un sentiment d’appartenance, avec l’aide d’experts, si possible féminins ».
- Les Vieilles PO œuvrent dans le ski hors-piste dans les Laurentides et aspirent à « donner le goût de sortir des sentiers battus, d’oser rêver, d’essayer, de se dépasser, au sein d’une communauté de femmes ».
- Les White Lips se spécialisent dans l’organisation d’évènements de ski hors-piste dans les Chic-Chocs.
- Place au vélo de montagne au féminin pour Les poules qui roulent, nées en Haute-Gatineau, mais qui se baladent partout sur deux roues… Mission : partager une passion commune pour le vélo de montagne « sans stress, ni testostérone », par des sorties guidées et un camp de formation automnal.
- Également spécialisées en vélo de montagne, Les Muddbunnies – nées à Vancouver – ont fait des adeptes dans plusieurs États américains et provinces canadiennes. Leur « chapitre Québec » organise des sorties de groupe exclusivement féminines.
- Pour le vélo « version filles », il y a encore les Cyclopétards. Créé en 2007, le club a l’ambition de « promouvoir le cyclisme au féminin », par des sorties visant à acquérir les bonnes techniques de base, puis à s’améliorer en prenant plaisir à rouler en groupe.
- La communauté Pink Water, créée en 2013 par deux passionnées des sports en eau vive, organise les Challenges Pink Water pour mieux connaitre ces sports aux femmes.
- Deux groupes ont adopté le nom de Filles de bois. Le premier se spécialise dans le vélo de montagne et le fatbike, avec pour slogan : « informer, inspirer et outiller ».
- Le second Filles de Bois entend, depuis près de 4 ans, donner une « place aux femmes dans l’industrie de la chasse, de la pêche, de la trappe et du plein air », par un groupe Facebook rejoignant plus de 8 000 femmes, un magazine numérique, une émission web…
- ActivElles est un autre groupe Facebook « pour la communauté gaie féminine », qui compte près de 800 membres. Visant à « inciter les femmes à pratiquer des activités physiques, notamment en plein air », le groupe organise une gamme d’activités (randonnées, sorties de vélo, raquette, patin, ski de fond, ski alpin, sports nautiques, etc.)
- Sans être dédié uniquement au plein air, le site Les Voyageuses du Québec, lancé en 2019, attire jusqu’à 14 000 visites par mois. Son groupe Facebook compte près de 42 000 voyageuses, incluant des adeptes du plein air, précise sa cofondatrice Rachel Latour (blogue Découverte Monde). Son dynamique webzine, avec des blogueuses passionnées, cherche à « faciliter le partage d’aventures et d’informations pratiques sur le voyage.