Publié dans l’édition Automne 2014 | Volume 26 numéro 1 Texte et photos : Pierre-B. Cadieux
Dès l’arrivée, que ce soit par avion ou par traversier, l’île de Corse impressionne avec ses allures de haute montagne. Diane et moi sommes un couple dans la soixantaine, avec un peu d’expérience en longue randonnée. Ce sont les magnifiques paysages de montagne fréquentant la mer qui nous ont attirés en Corse.
À Calvi, ville du départ nord du GR 20, nous apprenons que le sentier – « notre » sentier – est fermé dans la région jusqu’au 10 septembre à cause des grands vents et des risques d’incendie de forêt. Pas de panique encore, on prévoit débuter le 11, on verra bien. Le jour dit, nous prenons le bus (un par jour et sur réservation) pour aller à Calenzana, le village au pied de la montagne, au départ du mythique sentier. Au gîte communal rempli de randonneurs, nous nous endormons en rêvant de faire la conquête de la montagne, alors que c’est elle qui fera la nôtre.
Sans tente, il faut réserver sa place dans les refuges du parc naturel régional de Corse d’avance par Internet. Il faut aussi réserver le bivouac, le coucher en tente, louée ou pas. Beaucoup ne le font pas. Le ravitaillement se décide sur place. Alors, contrairement à plusieurs, nous abordons le GR 20 en multipliant les étapes. L’objectif est de loger dans la montagne plus longtemps pour en savourer toute la splendeur, en marchant entre les refuges; loin de nous la compétition. Pour nous, les 15 étapes du topoguide de la FFRandonnée en deviendront 18.
Nous commençons le GR 20 tout doucement les premiers jours, empruntant plutôt les chemins de transhumance ancestraux réactivés pour les randonneurs. Puis la montagne devient haute-montagne, avec ses crêtes déchiquetées, ses rochers abrupts. Le sentier prend son allure de GR 20, dur, mais tellement beau. Il est préférable de se mettre en jambe avant de l’entreprendre.
Nous sommes étonnés, sans voix, devant le gouffre qui creuse la montagne, tellement la profondeur est vertigineuse. Nous nous demandons comment il est possible de descendre, sans même nous poser de question sur la montée qui suivra.
Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas, le paysage se renouvelle. Ce jour-là, nous montons quelques heures par un sentier agréable, à l’échelle du GR 20, jusqu’au fameux cirque de la Solitude, le passage le plus craint de la randonnée. Nous sommes étonnés, sans voix, devant le gouffre qui creuse la montagne, tellement la profondeur est vertigineuse. Nous nous demandons comment il est possible de descendre, sans même nous poser de question sur la montée qui suivra. Comme nous apercevons, malgré le nom du cirque, plusieurs randonneurs, nous devinons la route. Bon, de l’escalade à l’envers en entrée. Nous nous exécutons alors, lentement, minutieusement, calculant chacune des prises de mains ou de pieds. La chute n’est pas possible, c’est presque vertical, à l’œil du néophyte. La précipitation pourrait nous précipiter dans le précipice. Alors, concentration.
Diane, 10 kilos sur le dos, descend sans peur, centimètre par centimètre. La remontée sur l’autre versant est peut-être pire, pas de prises, mais les chaînes et l’échelle de fer bien fixées à la paroi un peu lisse rendent l’ascension possible grâce à la force des bras. Le tout se fait bien, avec lenteur et assurance. Ma blonde est une championne. Tels des chevaliers ayant terrassé le dragon, fiers, nous dévalons le sentier vers le refuge sous un ciel souriant. Nous appartenons à la montagne.
Tout va bien, ça monte tout doux dans une forêt de majestueux pins laricio épars plus que centenaires. Nous venons de casser la croûte quand l’orage frappe, juste avant la paroi. Tout l’équipement de pluie en place, nous attendons sagement que le bruit inquiétant passe. La paroi et la suite se font sous l’averse, dans les ruisseaux spontanés formés par la pluie abondante. Laborieusement, d’une balise blanc et rouge à l’autre, sans regarder en bas, nous progressons.
Nous atteignons enfin le col face à un vent glacial très fort et à ce qui ressemble à un sentier rocailleux. La pluie froide cesse heureusement. Le refuge de pierre de Ciottulu di i Mori est en vue plus bas et bientôt nous sommes à l’abri, malgré la froideur du gardien qui trouve quelques bouts de bois pour faire du feu dans le petit poêle. Il était temps. Bon cuisinier, il nous sert une soupe corse particulièrement goûteuse et réconfortante. Comme dans la plupart des refuges, le gardien prépare le délicieux repas du soir qu’il faut réserver en arrivant. On peut aussi réserver le repas du matin, plus simple celui-ci.
Le vent siffle avec ardeur. Nous sommes à flanc de montagne, dans le minuscule refuge de Petra Piana, qui contient 30 places toutes occupées, avec une tout aussi minuscule cuisine servant les pensionnaires du refuge et, plus nombreux encore, les campeurs éparpillés sur le petit plateau autour du refuge. Ici, c’est l’exception : pas de repas préparés par le gardien. Nous lui achetons le ravitaillement et préparons notre repas sur le réchaud à deux ronds au gaz : spaghettis au thon et aux sardines, avec un bout de fromage de brebis toujours présent dans les bergeries et les refuges.
Aussitôt notre repas avalé, nous dégageons la table et lavons le bol et la cuillère à soupe (pas de fourchette dans le refuge) pour les suivants, qui attendent leur tour dans la petite cuisine. Le vent fait presque bouger le refuge et le brouillard, telle une poudrerie, passe rapidement en sifflant. Pas commode pour celui qui doit se lever la nuit pour aller aux toilettes, toujours dans un petit bâtiment à l’extérieur, heureusement à quelques pas dans ce cas-ci. Avec la lampe frontale, on ne voit même pas le bâtiment de pierre tellement le brouillard est épais, et le vent nous déplace furieusement. Le matin, au grand froid éolien, la descente raide est entamée avec tout l’équipement de pluie et de froid. Enfin dans la forêt, à quelques centaines de mètres d’altitude plus bas, le beau temps nous reprend par la main.
Ma blonde est forte et sans peur, mais pas ses genoux sollicités depuis trop de jours. Ils sont fragiles et parfois douloureux, particulièrement dans les descentes, malgré les genouillères et les bâtons. Le GR 20 est pierres qui roulent, rochers, forts dénivelés de bien plus de 1 000 m tous les jours, jamais facile. Il ne ressemble pas à un sentier « normal », sauf dans les zones touristiques comme Castelli di Vergio et Vizzavona, ce qui est un peu trompeur pour le randonneur qui en marche un bout. La descente de 1 221 m jusqu’à la cascade des Anglais est bien éprouvante. Heureusement, le lendemain, un sentier « normal » nous amène à destination. Nous partons d’une zone touristique, une exception bien appréciée.
Un des genoux de Diane n’en peut plus, il doit se reposer. Aussi nous rebroussons chemin : cinq heures pour prendre quelques jours de repos. Nous faisons quelques balades dans la magnifique forêt de Vizzavona avant de faire un long détour en train et en bus pour arriver au Foce di Bavedda et reprendre le GR 20, escamotant ainsi deux étapes trop difficiles et dangereuses avec un genou esquinté.
À I Paliri, le dernier refuge dans la montagne avant la dernière journée qui nous mènera à Conca, le terminus du GR 20 : un temps magnifique, une falaise resplendissante invitant les alpinistes, une nuit douce et étoilée dans une forêt de grands pins et une vue en hauteur sur les vallées, quelle belle finale. Le refuge est rustique, proche de la bergerie d’antan. La plupart des marcheurs finissent demain, heureux, satisfaits d’avoir atteint l’objectif sportif pour certains, contemplatif pour d’autres, comme nous. Déjà ils pensent au retour, nous à la partie touristique… À nous Porto-Vecchio!
Nous dormons au dernier refuge à la fin de la saison qui se termine avec le mois de septembre. Les gardiens partent le 30, alors plus de service de repas, d’eau et de gaz propane, mais les refuges restent ouverts. Nous avons cru être hors saison, mais les refuges étaient tous pleins. Nous avons couché avec satisfaction en refuge partout où c’était possible, sauf à celui de L’Onda où nous avons préféré la tente louée de la bergerie, plus près des services. Le GR 20, c’est 15 étapes bien documentées qui se mesurent en heures, de quatre à huit et demie, mais on peut en raccourcir le nombre en doublant certaines étapes, ou allonger le plaisir en coupant pour en faire 18. Le temps alloué est assujetti à la vitesse et à l’endurance du marcheur. Le GR 20 qui traverse l’île dans sa longueur par la crête des hautes montagnes est difficile physiquement et ne convient pas à tous. Bonne forme, non sujet au vertige et ne pas trop dédaigner la promiscuité des refuges en sont les exigences. Il est toujours considéré comme la grande randonnée (GR) la plus exigeante d’Europe, mais peut-être aussi la plus belle, et la plupart des randonneurs rencontrés, aguerris, le parcourent pour cela, comme un défi. Tous les matins, il a fait beau et presque tous les après-midis, le ciel s’est couvert et le vent s’est levé.
La Corse est parcourue par plusieurs autres sentiers de longue randonnée presque aussi spectaculaires, qui souvent suivent les anciens chemins de bergers dans la largeur de l’île en traversant des villages pittoresques et un paysage plus humain, les Mare a Mare et les Mare a Monti, tout aussi bien équipés en hébergement et ravitaillement, moins durs. L’enchantement est partout sur l’île pour le randonneur. Sur l’île, les lieux sont identifiés en français et en corse. J’ai préféré l’orthographe corse.
(légendes des photos)
1 : En quittant le refuge de Manganu
2 : Au départ du refuge de Carozzu
3 : Le refuge de Petra Piana et son bivouac