Publié dans l’édition Hiver 2017 | Volume 28, numéro 2
Vous êtes-vous déjà demandé à qui appartiennent les sentiers sur lesquels vous marchez? Hors des parcs nationaux, plusieurs longs parcours existent grâce à de nombreux droits de passage que des propriétaires de terrains privés ont accepté de céder. Acquérir et, surtout, conserver ces droits de passage peut être un défi important pour les gestionnaires de sentiers. Et vous? Laisseriez-vous des marcheurs passer sur votre terrain?
Sur les 150 km des Sentiers de l’Estrie, on retrouve au total 80 droits de passage. Pour Sentiers de la Capitale, qui traverse trois MRC de la région de Québec et de Charlevoix, il y en a entre 80 et 100. Sans ces droits, ces lieux de randonnée ne peuvent exister. Ces droits ont été négociés de gré à gré, même en faisant du porte-à-porte, entre les gestionnaires des sentiers et chacun des propriétaires.
D’emblée, les propriétaires craignent le vandalisme ou d’être tenus responsables si un randonneur en venait à se blesser. « Il faut sécuriser les propriétaires pendant les démarches de négociation », indique le directeur des Sentiers de l’Estrie, Jean Lacasse. En acquérant un droit de passage, le gestionnaire du sentier peut se servir d’une partie du terrain pour l’aménager, l’utiliser et l’entretenir.
Généralement, cette entente implique une bande d’une largeur d’un à trois mètres. Elle inclut aussi une décharge de toute responsabilité en cas d’accidents ou de dommages pour le propriétaire. Dans cette situation, il est plus prévoyant que le gestionnaire du sentier se dote d’une assurance responsabilité civile. Dans son Guide de réalisation d’un sentier pédestre en milieu naturel (1999), Rando Québec suggère que les droits de passage soient négociés pour la période la plus longue possible.
Dans la réalité, cette entente tacite est renouvelable tous les ans. Ce mode de fonctionnement est sécurisant pour les propriétaires, mais rend précaire la pérennité du sentier. « La difficulté, c’est que ça marche d’un bout à l’autre », fait remarquer Alain Marcoux, de Sentiers de la Capitale. Il compare les réseaux de sentiers pédestres aux vaisseaux sanguins. Il suffit qu’un seul caillot se forme pour que tous les autres se retrouvent dysfonctionnels.
En acquérant un droit de passage, le gestionnaire du sentier peut se servir d’une partie du terrain pour l’aménager, l’utiliser et l’entretenir.
Accorder quelque chose en échange?
La majorité des propriétaires acceptent de céder le droit de passage, soit par pure indifférence ou par souci d’aider la communauté. L’entente est cependant fragile, car, à tout moment, le propriétaire est maître de la renouveler ou non. La vente du terrain oblige aussi les gestionnaires de sentiers à recommencer le processus de négociation. Devant un refus du nouveau propriétaire, il faudra faire dévier le parcours ou tout simplement en fermer un segment. Les propriétaires peuvent être des individus, mais ils peuvent aussi être des entreprises, des Villes ou des MRC. Trois principales raisons expliquent le refus d’un propriétaire de céder son droit de passage.
D’abord, il peut vouloir utiliser cette parcelle de terrain pour ses propres gains, par exemple pour de l’exploitation forestière ou du développement immobilier. Deuxièmement, il peut tout simplement n’y voir aucun avantage, craindre pour des dommages ou une perte de valeur de sa propriété. Enfin, il peut être ouvert à accorder l’accès à son terrain, mais tient à une redevance en échange, ce que les gestionnaires de sentiers ne sont pratiquement jamais capables d’offrir avec leur budget limité. « Ce sont des outils qui manquent. Il devrait exister des incitatifs », considère Jean Lacasse. Pour ce faire, le directeur des Sentiers de l’Estrie croit que serait requise une meilleure implication, tant du secteur public que privé.
Des mesures fiscales gouvernementales pourraient, par exemple, octroyer des crédits de taxation aux particuliers et aux entreprises – immobilières ou forestières, par exemple – qui acceptent de céder un droit de passage à un sentier pédestre.
Il considère d’ailleurs que Rando Québec devrait prendre cette responsabilité de représentation auprès du gouvernement. « Oui, c’est notre rôle », affirme le directeur général de Rando Québec, Jean-Luc Caillaud. « On est en faveur de ce genre de compensation financière. Ce sont des modèles inspirants que certains pays européens utilisent déjà. Auprès du gouvernement, on en parle, on le pousse, mais au bout du compte, ce n’est pas nous qui décidons », précise-t-il. La randonnée pédestre n’est pas la seule activité de plein air à souhaiter des incitatifs pour les droits de passage.
Les amateurs de canot, de vélo et de sports équestres vivent les mêmes défis. D’ailleurs, au cours des derniers mois, une table de concertation sur les enjeux reliés au plein air a été mise en place pour mettre de l’avant des revendications communes aux différents groupes d’activités. Le directeur général de Rando Québec s’engage à y amener la question et souhaite qu’elle soit considérée. « En ayant une vision inclusive, on a plus de poids », croit-il. Le principal interlocuteur de Rando Québec dans ce dossier est le ministère de l’Éducation, qui a sous sa gouverne le loisir et le sport. Le ministère des Ressources naturelles aurait cependant intérêt à s’ y impliquer également, selon Jean-Luc Caillaud.
Favoriser la cohabitation
Pendant la période de la chasse, le site Web de Sentiers de la Capitale affichait le message suivant :
« Les sentiers de Sainte-Brigitte-de-Laval sont fermés pour la période de chasse, soit du 10 septembre au 16 octobre, et du 29 octobre au 6 novembre. Veuillez respecter cet avis. Il en va de votre sécurité et du maintien du droit de passage auprès des propriétaires qui gracieusement nous donnent accès à leurs propriétés pour l’établissement des sentiers ».
Cela fait partie des contraintes, mais aussi du partage nécessaire pour la survie de nombreux sentiers. Le comportement des marcheurs est aussi déterminant pour encourager les propriétaires à renouveler leurs ententes. « En restant dans le sentier, vous respectez ces droits de propriété, une façon simple de contribuer à prolonger la vie de nos sentiers en maintenant une bonne entente entre les parties », peut-on lire dans le « Code du bon randonneur » des Sentiers de l’Estrie. La cohabitation, qui devient cependant de plus en plus complexe, est sans aucun doute celle avec les grands promoteurs immobiliers.
Tant en Estrie qu’en périphérie de Québec, l’étalement urbain atteint des sentiers de randonnée, et leur conservation est perçue différemment d’un promoteur à l’autre. Certains vont mettre de l’avant l’accès aux sentiers comme argument de vente, tandis que d’autres les verront plutôt comme obstacles au développement. Jean Lacasse, des Sentiers de l’Estrie, croit que, collectivement, la présence d’un sentier à proximité d’un quartier résidentiel ou en milieu urbain ou rural devrait être plus valorisée. « Ça promeut les saines habitudes de vie et ça a des répercussions économiques en attirant le tourisme », souligne-t-il. Alain Marcoux abonde dans le même sens. Il remarque également que la valorisation et la tradition des droits de passage sont plus reconnues pour les sentiers de quad ou de motoneige que pour les sentiers de marche.
Longue randonnée en péril?
Sentiers de la Capitale a été créé en 1999 et, jusqu’en 2005, s’est développé rapidement. De 2005 à 2015, le projet s’est buté à de nombreux obstacles concernant le renouvèlement des droits de passage. Sur près de 100 km de sentiers dans la MRC La Jacques-Cartier, seulement 50 % ont survécu. « Il a fallu choisir ceux qui avaient le plus de chances de survie », se souvient Alain Marcoux. Aux Sentiers de l’Estrie, le même type de stratégie est adopté. Désormais, on privilégie les boucles ou les endroits où on peut installer le plus de services, comme un stationnement. Néanmoins, la sensibilisation semble porter ses fruits dans certains cas. La perte de nombreux kilomètres dans le Sentier national, que souhaitait voir naître Sentiers de la Capitale, a poussé certaines Municipalités à s’impliquer dans l’aménagement d’autres réseaux. « Il a fallu ces pertes-là pour réaliser que ça a une valeur », se console Alain Marcoux.
Pour éviter des complications qui pourraient être engendrées par les droits de passage, certains réseaux de sentiers sont conçus uniquement sur les terres publiques. Ce fut le pari qu’a fait le Sentier Inter-Centre, dans les Laurentides, lors de sa création dans les années 1980. Ce sentier de grande randonnée relie les trois municipalités de Lac-Supérieur, Saint-Donat et Val-des-Lacs, lesquelles s’impliquent dans le financement et l’entretien du réseau.
Émélie Rivard-Boudreau
Émélie Rivard-Boudreau est une journaliste localisée à Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue. Elle travaille comme journaliste à la radio et au web de Radio-Canada en Abitibi-Témiscamingue. Comme journaliste pigiste, elle a collaboré à d’autres médias écrits et web, notamment La Terre de chez nous, Planète F, la Gazette des femmes, Rando Québec, et Opérations forestières. (Coup de pouce, Naître et grandir, Bières et plaisirs) En 2015, elle remporté un prix de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) dans la catégorie Article de quotidien ou d’hebdomadaire écrit, pour son article Femmes de mines paru dans La Gazette des femmes. Depuis mars 2017, elle est vice-présidente de la FPJQ – Abitibi-Témiscamingue.
2 commentaires
Nous sommes propriétaires d’un terrain pour lequel un groupe de randonneurs nous demande un droit de passage. Existe-t-il une entente-type qui prévoit les principales obligations de chaque partie et sur laquelle nous pourrions baser la nôtre?
Bonjour Anne!
Rando Québec certainement vous aider là-dedans. Je vous conseille de contacter directement le service aux membres via l’adresse info@randoquebec.ca en indiquant votre situation (c’est ce que nous appelons un “droit de passage”). Nous pourrons ainsi vous indiquer quels aspects à prendre en compte. Je vous invite également à consulter ce lien : https://www.justice.gouv.qc.ca/vos-differends/rapports-de-voisinage/droit-de-passage/ Bonne journée! – Dominique